CHAPITRE QUARANTE-SEPT .1

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Après un trajet d'une bonne vingtaine de minutes, Adacie demanda à Tranit de s'en assurer avec sa montre, elles débouchèrent sur un petit plateau dégagé donnant sur le ruisseau qui avait été agrandi pour faciliter la navigation de petits bateaux et la pêche, en créant ce qui de loin semblait être un vivier à écrevisses.

Une tour de guet avait été dressée là depuis longtemps, puis un manoir bâti autour d'elle. Un peu plus loin, deux beaux châtaigniers, un noisetier et un frêne formaient un joli bosquet et de nombreuses habitations avaient été construites dans les deux arbres.

Un village prospère, assurément. Le manoir n'était pas entouré de remparts comme c'était en général le cas. Des constructions semi-souterraines comme des greniers,  des écuries et des étables étaient entourées de hauts chevaux de frise, plus pour la protection contre des prédateurs ou des nuisibles que contre des voleurs.

Un peu en retrait, des maisons de plain-pied pour des artisans, des agriculteurs. Un magnifique murier était visible au loin. L'endroit était paisible, des gens, çà et là vaquaient à leurs occupations sans s'inquiéter. Seuls des enfants se regroupaient pour dévisager les visiteurs.

Tranit fit approcher sa troupe du bas de la tour où quelques hommes d'armes bavardaient en astiquant des pièces d'armures ou des armes. Un sergent en surcot aux armes de Diarix se leva, un solide combattant certes, mais qui commençait à s'empâter.

Tranit le salua d'abord, par courtoisie et pour éviter toutes les questions que son uniforme et son équipage pouvaient entraîner.

— Bien le bonjour sergent. Je suis venue voir mon père, maître Itaïng.

— Bien le bonjour damoiselle. Votre père ? Itaïng ? Il doit encore faire la classe aux enfants du chevalier, dans la cour derrière le manoir.

— Merci. Mon escorte pourrait-elle faire halte au bord du ruisseau ?

Le sergent réfléchit quelques instants avant de faire signe à une jeune femme aux larges épaules qui terminait de remonter une arbalète.

— Oui-da. Silif, conduits nos visiteurs sur la plage. Le chemin commence juste derrière la tour, précisa-t-il à Tranit.

La jeune femme désignée se leva sans un mot, mais visiblement contente de rompre la monotonie de son travail. Tranit échangea un regard avec Adacie qui lui fit signe qu'elle allait accompagner l'escorte jusqu'au ruisseau.

Tranit mit pied à terre et lui confia sa monture. Le sergent lui fit signe de la suivre.

— Vous êtes avec les Montagnards maintenant ?

— Depuis une décade.

— La milice n'était plus intéressante ?

Tranit regarda le sous-officier, intriguée.

— Vous n'avez pas souvent des nouvelles de Maubourguet ici ?

— Pas trop. C'est une grande ville, mais nous voyons plus souvent les gens de Gensac. Les nouvelles nous viennent surtout par eux.

— D'accord, c'est pas le chemin le plus direct. Pour faire simple, Maubourguet a mis la main sur Outre-berge et les nouveaux seigneurs pensent qu'il est préférable de laisser les femmes hors des affaires militaires.

Le sergent s'arrêta, interdit, les yeux gonflés de surprise.

— C'n'est pas très fufute, ça, ma damoiselle, surtout à la veille d'une guerre !

— Je suis entièrement d'accord avec vous sergent. Mais le fils de Louvie-Juzon m'a offert un poste dans son armée, ce que j'ai accepté.

— Oui, j'avais reconnu le blason sur votre uniforme. On le voit souvent par ici, sur des bateaux qui remontent l'Adour à toute vitesse, sur des chariots qui viennent acheter des vivres.

Le sergent la fit entrer dans le manoir et traverser un long vestibule désert. Il lui montra des amoncellements de caisses en pierre pulvérisée et précisa.

— Vos marchands sont venus conclure une affaire avec le seigneur Diarix, pour trois milliers de ces caisses remplies de quenelles d'écrevisses ou de brochet. Beaucoup de travail pour les gens, c'est bien.

— Avec mon temps dans la milice, je pensais tout savoir du ravitaillement, mais je me trompais. C'est effrayant tout ce qu'il faut pour faire bouger une armée.

Le sergent poussa un profond soupir.

— Je sais. Et c'est bien dommage pour nous, mais le seigneur ne va pas renouveler le contrat avec vos marchands. Le comte de Gensac a prêté serment au jeune seigneur de Lasseube et doit donc lui réserver toutes nos productions de vivres pour la prochaine campagne.

Tranit resta bien calme et ne montra qu'un étonnement amusé.

— Lasseube ? C'est plutôt bien loin d'ici et je n'ai pas vraiment entendu que des compliments à leur sujet.

— Ce sont des histoires de seigneurs, répliqua le sergent fataliste en haussant les épaules.

Ils débouchèrent sur une petite courette donnant sur un jardin intérieur et le sergent lui désigna un groupe de personnes sous une petite tonnelle.

— Voilà ! Votre père est encore là. Je vous laisse.

— Merci sergent.

Tranit lui glissa une lune d'argent.

— Pour rassasier vos hommes. J'imagine qu'ici vous mangez bien, mais que l'ordinaire pourrait être mieux arrangé.

Le sergent empocha la pièce avec un grand sourire.

— Pour sûr ! On pourra remplacer la bière tiède du tavernier par celle plus piquante qu'il garde pour les voyageurs payants.

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant