32 - L'entretien d'embauche 2/2

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Zinésine entre en se voûtant encore un peu plus pour passer sous le chambranle de la porte. Bonjour. Pas de réponse. Il toussote. Le zandi* recruteur assis dans son fauteuil, derrière un bureau a le nez plongé dans ses papiers. En fait il clôture le dossier du candidat précédent puis toujours sans relever la tête, s'excuse du désordre de la pièce, signale qu'ils sont en plein déménagement et l'invite à garer son fauteuil devant le bureau où une petite place a été faite parmi les cartons qui jonchent le sol. Le ton laisse supposer qu'il répète cette entrée en matière bien rodée auprès de chaque postulant.

Mais Zinésine n'est pas en fauteuil ! Il ne peut décemment pas s'asseoir sur un carton ! Les bras ballant il ouvre la bouche :

- Hum, c'est que...

Le boss relève la tête et le regarde enfin. Médusé et l'air faussement gêné il dit :

- Ha, eh bien, heu... prenez une chaise !

Il lui propose cela pour se donner une contenance, mais sait pertinemment qu'il n'y a aucun siège dans l'établissement. D'ailleurs, pourquoi y en aurait t'il eu puisqu'ici chacun vient avec un de ses fauteuils perso ! Zinésine le savait et assura qu'il pouvait rester debout le temps de l'entretien. Arque bouté et dans une posture inconfortable aurait-il dû préciser, mais il ne voulait pas froisser son possible futur employeur.

- J'ai l'habitude, cela ne me dérange pas. Assura-t'il en grimaçant alors qu'il portait la main sur ses reins endoloris.

L'entretien commença de manière atypique. Au lieu d'évoquer le niveau d'études, les compétences ou l'expérience de Zinésine, l'aspect handicap fut directement abordé, ainsi que sa situation de famille.

- Vous êtes marié Monsieur...(il consulte son dossier)... Zinésine ? Des enfants peut-être ?

- Oui, une femme, deux enfants, tous P.N.R.* de naissance, cru t'il bon d'ajouter.

Zinésine se retint pour ne pas préciser qu'il assumait pleinement le fait que son épouse et ses enfants étaient P.N.R.* et qu'il en était fier. Il se maîtrisa aussi pour ne pas hurler qu'il cherchait du boulot depuis huit mois et qu'il avait une famille à nourrir.

Son interlocuteur esquissa une mimique d'admiration feinte (car en réalité il pensait à autre chose) puis, balayant la pièce du regard, dit :

- Vous avez vu nos locaux. Rien n'est adapté ici. Vous savez, nous sommes une petite entreprise et on ne peut pas se permettre de faire dans le social.

- Ho, je ne dis pas ça pour vous ! S'empressa-t-il d'ajouter avec un accent de compassion.

- L'aménagement d'un poste de travail a un coût. Rendre les locaux accessibles aussi. Comprenez-moi, votre handicap est trop lourd. Une personne normale en fauteuil avec une phalange atrophiée, ça va, surtout si c'est au petit doigt de la main gauche, mais là... Je vais être honnête avec vous : si sur votre CV, votre origine du P.N.R.* avait été mentionné, nous ne vous aurions sans doute pas convoqué.

Il chercha à se justifier et la main devant la bouche, précisa d'une voix presque inaudible :

- Vous comprenez, les budgets sont déjà contraints et puis aucune loi ne nous oblige. Lorsque le quota d'employés handicapés n'est pas atteint, alors on préfère encore payer les pénalités prévues à cet effet. Il se rapproche et chuchote : « Çà revient moins cher à l'entreprise »

Petit sourire mesquin. Redevenant sérieux subitement, il ajouta:

« Bon, trêve de plaisanterie, je suis vraiment désolé, vous m'êtes très sympathique, mais je n'ai pas de poste à vous proposer ».

Mais dites-moi, comment avez-vous fait pour monter jusqu'ici ?

Sans attendre la réponse de Zinésine, et alors qu'il replongeait le nez dans ses dossiers, le DRH ajouta en haussant la voix :

« Au revoir Monsieur Zinésine et bon courage ! ».

Zinésine, sortit du bureau puis, la tête encore un peu plus engoncée dans les épaules, traînant les pieds, il se dirigea vers les escaliers.

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P.N.R. : « Public Non Roulant » (8 % de la population) appelé les « debouts ». Zinésine, en situation de handicap est l'un d'eux.

Zandi : personne en fauteuil en situation de validité autoproclamée normale (92 % de la population).

Zandi-ascenseur : petits ascenseurs dans lesquels le P.N.R. est obligé de se contorsionner. Sinon ces personnes doivent emprunter les escaliers s'il y en a. Hélas ils sont souvent interdits à cause de travaux pour remise aux normes.

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Nous sommes tous responsable de ce que nous n'essayons pas d'empêcher. (JP Sartre)

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