Dure réalité

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Mes vêtements trempaient dans la javelle, le carrelage en avait été badigeonné, la chaise était de nouveau intacte, mais la fatigue me rattrapait. Car les loups-garous aussi, éprouvaient le besoin de dormir. De jour, pour la plupart des nôtres, puisque notre espèce vivait la nuit, en totale osmose avec la lune. Seulement, moi, j'étais dans l'obligation de calquer mon rythme de veille à celui des Humains. Il fallait bien évidemment que mes heures de sommeil concordassent avec l'activité diurne qui animait la ville. Quickly, son jumeau Slowly et moi-même étions dans le même bateau. Célébrité obligeait. Les Anciens et une poignée de la meute suivaient notre exemple par solidarité.

De larges oreillers en mains, je rejoignis l'ange dans le salon. Elle m'observa l'approcher.

J'avais revêtu un jogging, histoire d'éviter que mon invitée me prît – en plus – pour un détraqué sexuel.

— Dormir, articulai-je en désignant un oreiller.

Je mimai l'action en posant ma tête sur l'un deux. Ses yeux analysèrent le confort minimal d'une nuit, penauds.

— Je vais t'installer sur le fauteuil.

Je lui montrai l'emplacement du meuble dont le moelleux se devinait à l'œil nu. Elle ne suivit pas la direction de mon doigt.

— Je t'en prie, soupirai-je après dix longues secondes de silence. Tapote deux fois la chaise, si tu me comprends. S'il te plaît.

En vérité, je n'attendais pas grand-chose de ma tentative désespérée. Et j'eus raison.

J'envoyai les coussins sur le lit de fortune et me penchai au-dessus d'elle pour défaire ses liens. Prendre garde aux points de suture fut une épreuve, d'autant plus que la flexion tirailla mon épiderme.

L'ange se crispa. Simplement.

Shy avait décidément bien travaillé.

Les attaches dénouées, j'entrepris de me relever. A ma grande surprise, elle resta sage, immobile. Son cœur battait néanmoins fort. Trop fort. Pourquoi prenait-elle encore peur ? Fallait-il que je l'équipasse d'un couteau, pour obtenir sa confiance ?

Je tendis une main vers son poignet, qu'elle esquiva. Son coude heurta la chaise et une grimace déforma ses traits.

— Ne crains rien.

J'espérais que le ton de ma voix soutînt mes bonnes intentions. Enfin, si cela n'avait pas encore été le cas, depuis le temps et les efforts que j'y consacrais.

Elle se plaqua contre le dossier.

— Très bien, procédons autrement.

Je me plaçai à proximité dudit fauteuil, lui laissant de l'espace. Elle l'avisa, m'observa, l'examina de nouveau puis se leva. Enfin, nous nous jaugeâmes.

Un pas en arrière, de ma part, encouragea un pas en avant, de la sienne. Alors je me mis à reculer autant que la pièce le permettait. Et, ce, jusqu'à ce qu'elle pût s'enfoncer dans le nid d'oreillers. Je réalisai que je n'avais même pas pris la peine de verrouiller la porte.

Plus confiant, j'attrapai la couverture pliée en deux sur le bord du canapé et la lui envoyai. Elle s'en couvrit. Je pris les liens. Alors, les choses se corsèrent. Cette fois, un pas en avant écarquilla ses yeux, un nouveau la retrancha au fin fond du fauteuil. Un peu plus, et elle le traversait. Le troisième la contraignit à bondir sur ses pieds. Elle finit par secouer la tête, horrifiée.

— Simple précaution, murmurai-je en désignant la porte du menton. C'est dangereux, dehors.

Soudain, un gonflement cibla le dos de son tee-shirt. Ni une ni deux, la femelle tomba à la renverse. Une aile ne parvenait pas à passer par l'une des fentes fraîchement découpée dans le vêtement, la déséquilibrant.

Le Ciel à portée de main [ En pause ]Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt