Ëlen, le monstre

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— Nous lui présenterons d'abord le village, notre mode fonctionnement, nos membres, la forêt puis répondrons à ses questions en début d'après-midi, exposai-je autour de la petite table, ronde, positionnée à proximité de la fenêtre de mon penthouse.

— Ou alors... commença Quickly, en étirant le bras pour s'emparer de la feuille sur laquelle je listai notre emploi du temps. On se la joue zen et on fera en fonction de ce qu'elle pourra encaisser.

Le boucan des véhicules qui circulaient au bas du quinzième étage combla le silence consterné.

— Nous n'avons pas le temps de tergiverser, insistai-je avant de lui indiquer la montre gousset.

Deux secondes plus tôt, la chaînette de celle-ci s'agitait du haut de la poche de ma chemise, à l'instar d'un pendule.

— Le temps... souffla-t-il, pensif. (Il s'affala sur la chaise qui bordait la petite table). Tu n'as que ce mot à la bouche.

— Pardonne mon rationalisme.

Mon amertume lui fit plisser le nez.

— OK, le sablier, on fait comme ça, céda-t-il après avoir levé les paumes en l'air, signe de reddition. C'est toi l'Ancien, après tout.

— C'est moi l'Ancien, appuyai-je.

— Et si elle ne se réveille pas à avant midi, que vas-tu faire, Ëlen ?

— Je décalerai la marche à suivre.

— Bien. Et dans quelle sorte de tiroir suis-je censé me ranger ?

— Tu prépares le terrain : tu mets la meute au jus. Je ne veux pas qu'ils aient l'air surpris par sa venue.

— OK.

— Merci, Quick.

— Tu sais, je pense que tu devrais consulter un spécialist...

— Merci, Quick.

— Bien.

Il hocha la tête, jeta un œil sur la montre, puis disparut derrière la porte.

Je détestais son sérieux.

Et je détestais plus encore que l'on me rappelât ma fixette sur l'heure. Que l'on me traitât de maniaque, de psychorigide ou de névrosé, en prime.

Mais si je ne pouvais plus entendre les cliquetis des aiguilles, si je n'avais plus la preuve auditive du cercle temporel qu'elles traçaient... comment aurais-je pu tourner rond ? Mon doigt se mit à caresser la bague qui enserrait mon annulaire. Ce cercle qui scellait mon cœur de manière intemporelle.

Je la tâtais encore du bout des doigts, lorsqu'un objet me percuta l'arrière du crâne. L'acte fut assez violent pour projeter ma tête contre la table. À demi sonné, je roulai sur le flanc puis bondis sur le côté afin d'identifier l'ennemi. Accroupi, le buste penché en avant, le nez retroussé et les oreilles dressées, ma lèvre supérieure s'était automatiquement retroussée, laissant libre-champ à mes armes naturelles. Un feulement instinctif jaillit de ma gorge, avant que je ne misse un visage sur mon assaillant. Un visage de poupée pour adultes.

Je me redressai aussitôt puis replissai ma chemise, froissée par la vivacité de mes mouvements.

Quick et moi l'avions allongée dans l'une des quatre chambres d'amis, à côté d'un tas de vêtements commandé à la volée. J'avais disposé les oreillers de manière à ce que son cou évitât de se courbaturer. C'était génétique, il fallait que j'en prisse soin. Mais l'ange avait visiblement opté pour l'un des vieux tee-shirts qui me servaient de survêtements. Et qui disait mon tee-shirt, disait mes affaires. Mes vêtements, rangés en fonction de leur couleur et de leur nature, à l'intérieur de l'armoire appuyée contre le mur Sud. Dans ma chambre.

Le Ciel à portée de main [ En pause ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant