Chapitre 1 (partie 1)

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Le réveil sonnait avec acharnement. J'ouvris un œil et l'éteignis, attentive aux bruits alentours de mon appartement de South Kensington, au cœur de Londres. Un camion klaxonna dans la rue. Mon voisin du dessus fit racler un meuble sur le plancher, peut-être une chaise.

Il me fallut quelques minutes seulement pour deviner que j'étais seule : ma coloc faisait plus de bordel qu'un éléphant quand elle se préparait – ce qui était plutôt curieux vu son poids plume. Je m'étirai un moment, avant de sortir un orteil du lit.

Après un bâillement paresseux, je vérifiai mon portable. Pour faire court, je n'avais pas de cerveau, c'était sûrement pour des gens comme moi que les smartphones avaient été inventés ! Il réfléchissait à ma place et me rappelait mon emploi du temps.

Deux rappels étaient affichés. Un RDV pour un shooting ce matin-là, une heure et demie plus tard, pour lequel je devais sérieusement me bouger. Il y avait aussi le nom de ma mère pour le lendemain. Cela faisait déjà dix jours depuis la dernière fois qu'on s'étaient vues ? Un poids familier entrava aussitôt ma gorge en pensant à elle, avant de me tomber sur l'estomac, faisant disparaître toute envie de petit déjeuner.

Oppressée, je rejoignis la cuisine avec des gestes d'automate, évitant de penser. Je me servis un café noir d'encre. Pas besoin de résister à la nourriture, dans cet appart il n'y en avait pas. De temps en temps, des triangles de faux fromage. Christy était vegan, même si ça n'était pas par conviction, c'était plus une excuse pour ne jamais ingurgiter quoi que ce soit.

— Et tu lui ressembles, murmurai-je.

Ma voix résonna dans la cuisine trop vaste, surtout pour être si vide. Une cafetière dernier cri à dosettes, un extracteur de jus qu'on laissait prendre la poussière trônant fièrement sur un îlot central qui avait tout d'une contrée désertique. Au moins, faire le ménage était rapide !

Je soupirai et me frottai les paupières. Avant d'arrêter : ça ride.

Je me dirigeai vers la salle de bain où je me dévêtis. Il y avait un miroir en pieds énorme à côté de la cabine de douche, qui nous servait à vérifier si une imperfection avait débarqué dans la nuit. Pas quelque chose de subtil comme une vergeture ou une cicatrice – tout se gomme avec Photoshop – par contre les photographes ont la dent dure avec les modèles qui prennent des fesses.

Le miroir me renvoya la même image que d'habitude. Mon corps ne me convenait pas. Je pourrais le façonner à la salle de sport des heures, le contempler en photo dans Cosmo, Vogue ou Elle, il y aurait forcément une imposture. Si on me payait pour être belle, je ne voyais que les défauts... tant et tant, irrémédiables.

Mon ventre se noua un peu plus.

Lourde.

Le passage sous la douche ne dura pas, à cause du peu de temps qu'il me restait en comptant le trajet. Je me précipitai vers la suite : m'habiller, me maquiller et me coiffer pour mieux me camoufler. Un mannequin qui arrive sur son lieu de travail avec une tête de papier mâché est soit camé, soit près de la fin. Il était hors de question qu'on pense ça de moi.

Vêtue d'une combinaison pantalon noir, j'enfilai les escarpins coordonnés puis une veste un peu rock en cuir bleu canard pour décaler ma tenue. Le miroir ne me paraissait pourtant pas plus clément. Je me tirai la langue. Comme ça, par défi. Espèce de poupée...

Une chose était certaine, ce jour-là n'était pas un des meilleurs : je n'avais rien mangé sans me sentir plus légère pour autant. Ni plus lourde, d'ailleurs. L'indifférence est la porte ouverte aux dérapages, je le savais.

Après être sortie de mon immeuble, je déboulais dans ma rue, de plus en plus en retard pour mon rendez-vous. Sans être connue pour autant, je passais mon temps à arpenter les castings, tourner dans des petites pubs et poser pour des campagnes quelconques ; pas forcément nationales. Je faisais a priori une belle carrière en Europe de l'Est, génial...

Je préférai prendre un bus plutôt que le Tube, le métro souterrain coupant la plupart des communications. Je m'accrochais à une barre alors que le chauffeur accélérait en longeant Hyde Park. Je devais détourner mon attention du poids qui m'écrasait, pour être opérationnelle au shooting et pour ça il y avait une méthode très efficace.

Je récupérai mon portable et appuyai sur une icône qui appelait directement un numéro. La sonnerie retentit.

Plus légère.

Cache-CœurWhere stories live. Discover now