04/12

537 72 13
                                    

Chère J,

alors tu es une fille?

Je n'arrive pas à y croire. Tu as un style épistolaire pourtant très masculin et je suis bien placée pour te le dire vu que je fais une prépa littéraire. Mais ça tu devais déjà le savoir, vu que tu sais apparemment tout de moi. Le fait que tu sois une femme ne me perturbe pas plus que cela. C'est vrai qu'il est rare de tomber sur des filles aimant les filles dans cette putain de ville. Tout le monde a voté Lepen aux dernières élections et j'ai l'impression que les habitants ne sont qu'un ramassis d'homophobes. Mais je m'égare.

Je ne pense pas que cela change quelque chose que tu sois une femme. Tu es toujours toi et j'aime tes lettres. Comment es-tu parvenu à me faire changer d'avis aussi vite?

Et que tu sois un homme ou pas, je ne tomberai pas amoureuse de toi. Impossible. On dit toujours que pour aimer quelqu'un, il faut s'aimer soit même, et ce n'est pas le cas, J. Et j'en suis désolée.

Hier a été une journée banale, comme tous les jours d'ailleurs. Quand je vais à l'école, je ne ressens qu'une douce tristesse familière. Je ne me fais pas spécialement harceler. Du moins peut-être pas vraiment. Je n'ai besoin de personne pour me détester puisque je le fais merveilleusement bien moi-même. Étrange n'est-ce pas?

Aujourd'hui, nous sommes samedi. Je me suis levée tôt pour t'écrire cette lettre et j'ai l'intention d'enquêter pour savoir qui tu es. S'il y a bien une seule chose que j'apprécie chez moi, c'est ma détermination inébranlable. Lorsque je veux quelque chose, je l'obtiens. Je ne sais pas vraiment pourquoi je veux connaître ton identité, d'ailleurs. Sûrement parce que chacun de nous à son objectif personnel, sa propre quête qui lui permet de rester en vie.

Bien à toi,

Vanille.

Bien emmitouflée dans son anorak et un bonnet à pompon vissé sur la tête, la petite brune déposa comme à son habitude sa lettre quotidienne sur le paillasson de sa maison. Le vent s'était calmé aujourd'hui, et les flocons de neige se faisaient moins nombreux. Elle se dirigea dans sa rue et leva le nez en l'air, le vent froid lui piquant les yeux. Comme tous les samedis, elle se rendait à la librairie. Là-bas, elle savait qu'elle trouverait des réponses et à qui demander de l'aide. Alors qu'elle marchait à grands pas en tentant de réprimer les frissons que le froid faisait naître en elle, Vanille se rendit compte qu'elle se sentait bien. Ce simple constat redoubla cette sensation qu'elle n'avait pas encore l'habitude de ressentir de plus en plus régulièrement ces temps-ci.

Au bout de plusieurs minutes de marche durant lesquelles elle tenta de faire abstraction de l'air glacial, elle atteignit le centre-ville qui lui sembla figé dans le temps. Seule la neige qui tombait paresseusement sur les immeubles et les rares passants que la jeune fille croisait lui rappelèrent qu'il s'écoulait toujours et encore, inexorablement. Vanille bifurqua dans une petite rue plus ou moins fréquentée de la ville et s'arrêta devant la façade d'une librairie à l'aspect accueillant. Elle y pénétra, le son fugace de la sonnette lui vrillant légèrement les tympans. L'intérieur était très lumineux et des livres de tout genre étaient disposés dans les nombreuses étagères en bois d'acajou. Quelques cartons juchaient sur le col, remplis de d'ouvrages que l'on n'avait pas pu stocker. Tout avait été décoré avec dans des tons frais et chaleureux à la fois et la vendeuse installée derrière son petit comptoir sourit doucement à la vue de la nouvelle venue.

-Bonjour Vanille, dit-elle d'une voix calme.

-Bonjour Zaïra.

Zaïra était une jeune fille de quatre ans son aînée qui gérait la boutique depuis que Vanille l'avait découverte en flânant dans la ville, deux ans auparavant. Elle possédait une épaisse chevelure noire et frisée que la plus jeune lui avait toujours envié et des yeux d'un vert à couper le souffle. Elle semblait toujours un peu distante et effacée, mais Vanille n'avait jamais rencontrée une personne aussi douce et passionnée que Zaïra. Celle-ci avait ouvert sa propre petite librairie dès qu'elle avait eut les diplômes nécessaires pour y parvenir et l'avait sobrement baptisée "Poussière de livres". Vanille fréquentait Zaïra depuis pas mal de temps déjà, et pourtant elle avait le sentiment de ne pas vraiment la connaître et elle l'intriguait autant qu'elle l'intimidait: énormément.

vingt cinq jours pour tout changerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant