S02 - E02 - Pistage

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Tant pis pour ma semaine de vacances.
Je remets les gaz et fonce vers la petite lune d'où s'élève le message de détresse. L'alerte est sobre, directe, elle ne laisse aucun doute sur la situation de mon copain : Pili a émis un S.O.S. (souligné et en gras, taille 72) suivi de coordonnées et d'une empreinte Phi, pour que tous les zozos qui passeraient dans le coin puissent l'identifier, lui et son bike.

L'empreinte indique que le vaisseau est salement amoché. En se crashant, Pili a eu beaucoup moins de veine que moi.
La petite lune, nommée Triirasefli dans l'encyclopédie stellaire, grossit jusqu'à occuper la totalité de mon pare-brise. De loin, elle ressemble à un frometon garni de moisissure. De près, c'est... peu ou proue la même chose.
Je plonge et une fois à faible altitude, je braque pour remonter jusqu'aux coordonnées du message de détresse. Les rares étendues liquides de Triirasefli sont envahies d'algues touffues, d'un bleu très poisseux, qui me font tout de suite passer l'envie d'y piquer une tête, des fois que je voudrais me rafraîchir...
Le reste de la petite lune n'est qu'une immense piscine à boules caillouteuses, blanches et poudrées. Les capteurs de ma bitza évaluent la température extérieure à 36°C, mais la composition de l'air est trop azotée pour que je puisse m'y promener sans casque. Dommage.
En même temps, si ça se trouve, Triirasefli renifle autant que ne le laisse présager son apparence moisie. Les Xiens (le peuple de Pili) ont une maxime intéressante à ce sujet : "Si quelque chose a la gueule d'un claquos, elle aura l'odeur d'un Gek". Eh bien, après plusieurs années à valdinguer dans l'espace, vous pouvez me croire : cette foutue maxime se vérifie dans 99% des cas. Ça et le fait que les Xiens ne peuvent pas piffrer les Geks. Un sentiment que je partage à 200% : ces gueules d'iguane ont décidément la conversation trop "parfumée" pour mes narines, qui ne sont pourtant pas si délicates que ça.

Je pose enfin ma bitza sur un petit plateau de rocaille blanche, à distance raisonnable du seul bâtiment qui s'y trouve : une vieille usine Xienne, dont les silos d'énergie sont en train de fondre. Le S.O.S. de Pili vient de là. L'usine a l'air d'avoir subi récemment une chute de météores. Le plateau est criblé de petits cratères qui ont noirci la pierre et roussi les algues. 
Je quitte la protection de mon cockpit. Quand je mets le pied au sol, la pression de l'air sur mes épaules me fait courber l'échine. Je suis obligée de me déplacer à la vitesse d'une tortue à trois pattes, mais je m'entête. Il le faut, pour Pili.
D'après le scanner, le vaisseau de mon copain se situe derrière l'usine. D'ailleurs, une colonne de fumée noire semble provenir de cet endroit. J'avance d'un pas lent mais assuré ; je contourne le bâtiment, dont la porte principale est à moitié défoncée. Au travers, je distingue des formes sombres qui obstruent le passage : l'intérieur de l'usine a dû en partie s'écrouler. Une loupiote rouge clignote dans l'obscurité, mais l'urgence est ailleurs. Une fois de l'autre côté du complexe, l'aile du bike de Pili fait son apparition, fendue en deux. Elle s'est détachée du reste de l'appareil. Mon ami ne se trouve pas dans son vaisseau, le cockpit est vide.
La colonne de fumée, opaque et noire comme de la suie, s'échappe en réalité de l'arrière de l'usine. Ça me rassure presque pour Pili. Presque.
En m'approchant de son vieux bike, je remarque des traces brunes sur les cailloux blancs. Blessé, Pili est blessé. Mon cœur s'emballe comme un idiot, mon esprit imagine le pire. Je braque un laser devant moi, on ne sait jamais ; ce serait bête de tomber maintenant sur une bestiole agressive. Qui sait ce qui vit sur cette petite lune ? Je ne suis là que depuis quelques minutes. Peut-être que Triirasefli cache de vraies saloperies sous sa surface. Des saloperies qui ont bien pu bouffer Pili en deux temps, trois mouvements.
Le souffle court, j'observe de nouveau les traces de sang sur le sol caillouteux. Elles sont petites, effilées, très dispersées. Peut-être que mon ami a simplement les genoux écorchés... Avec ses trois paires de guibolles, c'est facile de laisser autant de traces. Je remonte la seule piste que j'aie. Les taches de sang font le tour du complexe ; elle s'arrêtent devant l'un des silos fondus, puis repartent vers le bâtiment principal de l'usine, jusqu'à une écoutille secondaire. Une entrée encore intacte, verrouillée de l'intérieur.
Je crame la serrure avec un coup d'extracteur poussé à pleine puissance. Tiens bon, Pili : pour une fois, on inverse les rôles, toi et moi. Cassy arrive pour te sauver les miches ! Enfin... en espérant qu'il reste encore quelque chose à sauver...

 Cassy - DU. 16-1412 - T°C : 38,4° C (ext.) - Loc. : Triirasefli, système Oibosolumill (Euclide)    

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