Des jambes toutes neuves

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A un an et demi, on m'offrait un cadeau inattendu, on me présentait un nouvel ami. Enfin, il n'était pas très bavard il faut l'avouer. Je n'étais pas des plus ravies mais après tout, j'avais besoin de ça pour avancer. J'ai fini par comprendre qu'on allait faire un bout de chemin ensemble, alors j'ai tenté de l'accepter avec le sourire. Pour faire court, le progrès m'avait offert de nouvelles jambes, toutes neuves. Aucune cicatrice, juste une barre de fer entourée de mousse. Je ne comprenais pas bien, pourquoi m'avait-on enlevé les miennes quelques mois plus tôt, pour m'en donner des autres qui ne m'appartenaient pas, sans m'avoir demandé une quelconque autorisation ?

Jour après jour, j'essayais de dompter ce truc nouveau, ce machin spécial, que je ne parvenais à considérer comme mes propres jambes. Jamais elles ne m'écoutaient, même s'il faut avouer que je leur parlais très peu. Impossible de rester debout plus d'une demie-seconde, et encore, une demie-seconde, c'est mon record. Et je pleurais, je pleurais. Déjà si jeune, je n'acceptais pas l'échec, je voulais réussir, surmonter les épreuves, étapes par étapes. Je pleurais parce que mes jambes ne se pliaient pas, de vrais bouts de bois incontrôlables, indomptables. Mes parents tentaient vainement de m'enseigner la patience mais ce n'était pas dans mes talents premiers.

Je tombais, je tombais, mais chaque fois, je retournais à l'attaque, à terre, mais jamais abattue. Je crois que mes parents commençaient à perdre espoir, à croire que jamais je ne marcherai. C'est pour vous dire, mon grand-père, en larmes, avait fini par dire : '' Je pourrais mourir quand je l'aurais vue marcher. '' Ils avaient peur, peur d'avoir pris la mauvaise décision, peur de ne pas me voir évoluer comme les autres, peur que j'ai toujours un train voire une vie de retard. 

Mais, quelques mois plus tard, après des jours et des jours de bataille contre moi-même, contre ce demi-corps assez peu ordinaire, des heures à transpirer la défaite, à puer l'échec, j'étais sur le point de réussir. Un instant que j'ai oublié aujourd'hui, mais qui restera gravé à l'encre indélébile dans l'esprit de ceux qui étaient là, ébahis, soulagés. Enfin, j'étais debout, j'avais cessé de vaciller comme si j'avais ingurgité trop d'alcool ou que je dansais sur un fil avec des talons aiguille. J'avais trouvé cette fameuse stabilité que d'autres trouvent avec si peu de difficultés, sans forcer le moins du monde. Mais ce n'est pas tout, bluffant les spectateurs de ce film ô combien spectaculaire, j'avais marché. Vous avez bien lu, j'ai fait quelques pas, fébrile, hésitante. Mais je l'ai fait ! J'ai marché ! Mes premiers pas ! Je n'étais pas encore apte à escalader l'Himalaya mais j'étais sur la bonne voie. J'évoluais désormais sur le chemin de la vie, celle qui nous faisait ramper au sol pour ensuite nous dévoiler ses secrets les plus somptueux. 

Mon cœur mis à nuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant