#8 - Dîner aux chandelles

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La blanche colombe rejoint sa cage dorée. Le corbeau écarte ses bras, béants. Elle gravite autour de lui, se veut être discrète, mais son plumage radieux la trahit. Crôa. Les deux oiseaux veulent danser dans les airs, piailler en silence. Converser. Ces bribes de palabres tisseront bientôt de nobles syllabes, maillons de fables que les futures générations se devront de conter.

20h56. Un relent âcre émane de la tanière. Lieu idéal pour tenir une réunion secrète. Loin de toute civilisation, répugnée par les effluves d'excréments d'ours ci et là. Un squelette d'homme se tient assis contre la parois rocheuse, un livre détrempé en main. Léger choc à son encontre : sa tête s'effondre, roule, rejoint le précipice. Oups. Je me penche, curieux ; le crâne se perd sous les eaux de l'immense cascade sous mes pieds. Des trombes meurtrières qu'il ne faudrait embrasser.

Je m'adosse à la roche, lance une œillade à l'unique accès des environs : un serpent sur la montagne, chemin sinueux aux écailles humides de par la bruine environnante. Seuls les plus courageux se risqueraient de braver tant de danger. Ou les plus fous, tout dépend.

21h00. Les cloches sonnent. Le mestre convoque ses fidèles dans la maison de Dieu. Moi, j'attends ma douce amante dans le creux d'une terre indigne de toute divinité.

L'oiseau descend, une sublime créature à son bord. Un être gracieux dont le verbe jure avec le corps. Le fond avec la forme.

— Pourquoi voulais-tu me voir ? C'est une curieuse façon de chercher quelqu'un surtout quand on veut ensuite le rencontrer dans un endroit aussi désert.

— Curieux est le mot.

Je m'extirpe de mon support, m'avance vers mon destin. Lui fais face. Bras ballants, muscles tendus, épaules relevées, torse bombé, poings refermés ; je me déguise en une force de la nature qui n'a d'œil que pour ma proie, mes yeux de saurien rivés sur elle. Un bruit de cascade en fond.

— Il me fallait faire du bruit. Tu es une apparition. Éthérée. Une vraie tombe. Et pourtant, j'ai beaucoup entendu parler de toi.

Je désigne la tanière de la main. Ouvre le pas sans m'attarder sur ces préliminaires. À ma droite reposent une table miteuse et deux tabourets. L'endroit devait servir de refuge en des temps non si lointains. J'ouvre mon inventaire, glisse une bouteille d'eau de celui-ci jusqu'au support.

J'époussette mon siège de fortune, m'y installe aussitôt. Inventaire. Deux verres en terre cuite sur la table. Remplis. Mains croisées, dos cambré, j'attends la réaction de Lyra.

— Je t'en prie. Ne fais pas attention à l'odeur.

— Qui es-tu et que me veux-tu ?

La fille fait de nouveau face à mon regard inquisiteur. Je sens une once d'inconfort en elle, mais ni l'odeur ni l'endroit n'en constituent l'anamnèse. Un tout œuvre pour la mettre en déroute, et ma présence en est certainement le berger. Je passe mon index sur le contour de mon verre, retenu par ma paume gauche d'une poigne de fer. Et cela sans la quitter des yeux.

— Je suis une main tendue.

Je décroche les lanières qui retiennent mon visage. Le pose sur la table, doucement, d'un geste sûr. Deux yeux l'ornent, inanimés, sans lueur. Ils fixent le plafond.

— Soyons sincères entre nous, veux-tu. Bas les masques.

Une silhouette noire miroite à la surface de l'eau. Un faciès vierge, vide, profond. Un gouffre lisse, palpable. Des sons en émanent sans qu'aucune bouche ne s'entrevoie. Deux iris semblent s'adresser à l'épéiste, invisibles. Je ne me reconnais pas, même sous l'étoffe écarlate.

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