Chapitre 11

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Il a attrapé ma main et a enroulé ses doigts autour des miens. Il tremblait. Je n'y ai pas fait attention.
J'aurais dû. Je n'en savais rien, mais en cet instant précis j'avais déjà décidé, j'étais passée de l'autre côté d'une limite invisible. C'était le début de la fin. Le moment où tout a basculé, m'entraînant dans l'abysse insondable des ténèbres.

Je marchais un pas en arrière de Franklin, comportement inconscient du dominé face au dominant. J'étais déterminée, j'allais me venger, redistribuer la douleur que j'avais ressentie. Sous le regard attentif de mon chef de meute.

Si j'avais su, oh oui si j'avais su... Rien ne serait arrivé.

La pluie s'est mise à tomber et le cri d'un oiseau a déchiré le silence oppressant. J'aurais dû comprendre. Le monde autour de moi tentait de me ramener à la vie.

J'ai trébuché. J'aurais pu ne pas me relever et partir en courant le plus loin possible. Mais non. J'ai levé les yeux vers lui. Il m'a relevée. Il aurait pu m'abandonner, mais il en avait décidé autrement. Il m'a sortie du néant. Mon sauveur. Enfin c'est ce que je croyais.

Nous étions liés, de quelque manière que ce soit, et j'avais envie de le suivre. Partout. Pour faire n'importe quoi. Dieu que j'étais naïve.

Un champ de mines venait d'exploser à l'intérieur de mon corps, déclenchant une guerre de sentiments. La haine, la rancœur, la colère, l'envie de destruction et la folie se battaient contre le regret, la honte, le respect, l'envie de paix et la compassion. La peur, elle, assistait à ce massacre, impuissante. Elle avait perdu toute capacité de persuasion et n'avait plus aucune emprise sur les deux camps.
L'un des deux bataillons finirait par gagner, mais ça ne serait pas sans conséquence. Non, je serais abîmée, détruite d'un peu partout. La guerre laisse des traces ineffaçables, preuves de sa férocité. Malheureusement je ne contrôlais plus rien, il n'était plus en mon pouvoir de favoriser l'une des deux armées. J'étais inutile, complètement perdue au beau milieu du champ de bataille. De toute façon, quelle que soit l'issue, le résultat serait le même. C'est ce que je croyais en tout cas. Alors je n'ai pas lutté, j'ai laissé les choses aller.

Alea jacta est comme on dit. Surtout quand on s'appelle Athéna.

Il m'a fait avancer en direction de l'arrière de sa maison. J'allais enfin découvrir ce qu'il faisait la veille, en pleine nuit au fond de son jardin. Enfin je l'espérais.

La pluie était à présent tellement forte que j'avais l'impression d'être dans un aquarium. Mes pieds nus s'enfonçaient dans la boue et chacun de mes pas provoquait un bruit de succion qui, en temps normal m'aurait horripilée. Mais nous n'étions pas en temps normal, c'était la guerre. Alors je n'y ai pas prêté attention, tout comme je n'ai pas relevé le fait que l'odeur nauséabonde était de plus en plus forte. Certes elle m'emplissait les narines et je l'inhalais à pleins poumons, mais loin de me répugner, elle me confortait dans mes résolutions.

J'allais me venger, peu importait la manière du moment que ça me soulageait. J'en avais besoin pour recommencer une nouvelle vie. J'allais renaître de mes cendres tel le phénix au plumage enchanteur.

Derrière la maisonnette se trouvait une petite remise totalement hermétique. Aucune fenêtre pour laisser la lumière pénétrer. Que pouvait-il bien fabriquer à l'intérieur d'un endroit pareil ?

Il a lâché ma main sans dire un mot et s'est approché de la porte.

Moi je suis restée plantée là, à environ cinq mètres de l'entrée. Je ne savais pas si j'avais le droit de franchir la barrière invisible qui me séparait encore de son monde, de sa vie, du plus profond de son être.

J'avais encore la possibilité de faire demi-tour, de tout abandonner. J'aurais pu tout plaquer, encore une fois. Mais l'engrenage était lancé. Et moi j'avais été happée par le mouvement.

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