Chapitre 3

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Le réfectoire était la plus grande pièce du terrier, soit la seule capable d'accueillir tout le monde en même temps, voire plus. De longues tables étaient disposées dans tous les sens, si bien que je me demandais souvent comment ils avaient fait pour tout arranger. Les murs, pour autant qu'on puisse appeler de la terre tassée un mur, étaient punaisés d'affiches représentant des légumes bien trop brillants pour être comestibles. Une odeur de frites emplissait l'air de la salle, me faisant saliver. On n'avait le droit à un tel plat que le jour de la baston, histoire de nous motiver. Déjà certains commençaient à se charrier et quelques coups bien placés étaient envoyés.

J'ai aperçu Alexandre et Nyx qui mangeaient en tête à tête, comme d'habitude. Ils étaient ensemble depuis... Je ne savais même plus. Des années en tout cas.

C'était à mon tour d'être servie par Papy alors j'ai avancé d'un pas, prenant un plateau au passage.
– Bonjour, Papy.
Il m'a souri et a déposé mon assiette - hamburger frites, très équilibré - sur la planche en bois.
– Je compte sur toi pour leur mettre la pâtée Athéna, m'a-t-il dit avec un clin d'œil complice.
– Pas de souci pour ça !
J'ai attrapé un verre que j'ai posé en équilibre sur mon plateau, rajoutant les couverts d'un geste mal assuré. Je n'étais pas vraiment habile pour ce genre de choses et le moindre de mes mouvements devait être effectué avec la plus grande concentration.
D'un pas lent et précis j'ai rejoint la table de mes deux amis, en grande conversation. Nyx s'est retournée et m'a observée de haut en bas puis de bas en haut avant de lâcher :

– Ça change dis-donc, tu es super jolie Athé', la mâchoire de Neptune va se décrocher quand il te verra.

J'ai rougi, comme à mon habitude. Je rougissais tout le temps pour un rien.

– Quand je vais lui mettre mon poing dans la figure tu veux dire ? ai-je dit en rigolant.

Nyx aussi a ri, et Alexandre a même esquissé un sourire cependant que je m'installais.
Je n'étais absolument pas attirée par Neptune, et à ma connaissance lui non plus, enfin peut-être un tout petit peu. Mais il avait eu le malheur de me regarder avec des yeux ébahis lors de la précédente baston. Depuis, Nyx n'arrêtait pas de nous taquiner là-dessus, l'un comme l'autre. Il faut dire que j'avais été exceptionnelle : j'avais quasiment mis tout le monde K.O. à moi toute seule et avec la manière s'il-vous-plaît. Je m'en étais sortie avec seulement quelques bleus et une écorchure sur le bras droit tandis que d'autres repartaient avec une jambe ou un nez cassé. J'étais on ne peut plus fière de mon exploit et tout le monde le comprenait.
Sauf que maintenant les gens en attendaient beaucoup - trop - de moi et que je ne me sentais pas particulièrement en forme, même malgré le grand nettoyage et le repas que j'étais en train d'avaler.

Les deux amoureux ne me prêtaient plus aucune attention et semblaient même avoir oublié que j'étais là.

– Euh... Coucou j'existe... ai-je dit en leur adressant un signe de la main.

Ils se sont retournés vers moi d'un seul mouvement.

– Désolé Lu... Athéna, s'est excusé Alexandre en prononçant presque mon prénom, chose interdite et à ne surtout pas faire en présence de quelqu'un d'autre, même Nyx.

J'ai souri, pour leur signifier qu'ils étaient déjà pardonnés. Sauf qu'ils sont retournés dans leur bulle en moins d'une minute. Je n'étais pas d'humeur à rester de marbre ni à jouer la carte de l'invisibilité.
Exaspérée, je me suis levée, reprenant mon plateau avec moi. Ils n'ont même pas bronché, à croire que j'étais complètement inutile. Je n'ai rien dit, mais ça m'a vexée comme un pou.
Du coup il fallait que je trouve où manger, et surtout avec qui. Tâche aisée pour la championne en titre de la baston le jour même du prochain combat. Je savais pertinemment que personne ne serait contre gratter quelques informations sur mes tactiques. J'ai repéré Neptune qui mangeait avec Izanami et Arès. Parfait. Je me suis approchée d'eux d'un pas assuré.

– Je peux manger avec vous ? ai-je demandé tout en déposant mon plateau sur la table, rendant la question légèrement inutile.
– Bien sûr, ça ne doit pas être facile de toujours tenir la chandelle, pas vrai ? s'est moqué Neptune sans que sa mâchoire se décroche.
– Haha, très drôle, ai-je ironisé en lui donnant une tape sur l'épaule, non, sérieusement c'est pas facile tous les jours.
– Ça se comprend. Et sinon, prête pour tout à l'heure ?

Il ne perdait pas de temps pour entrer dans le vif du sujet.

– Oh que oui ! ai-je menti
– N'espère pas me battre cette année. Tu as eu un coup de chance l'année dernière, ça ne se reproduira pas.
– Ah oui ? C'est ce qu'on verra, l'ai-je défié.

Les deux autres se taisaient, fixant leur assiette comme s'il y avait quelque chose d'intéressant à observer à l'intérieur. Ça devenait franchement gênant.

– Et vous ? ai-je questionné Izanami et Arès, vous êtes prêts à en découdre ?

Ce dernier a hoché la tête en signe d'approbation et a détourné le regard. Signe qu'il mentait lui aussi. Au moins on était deux.

– Je n'aime pas me battre, a lâché Izanami en me regardant droit dans les yeux, je ne comprends pas quel plaisir tu peux ressentir en écrasant les autres, c'est carrément puérile et violent.

Ses yeux étaient remplis d'une colère noire qu'elle s'efforçait de maîtriser. Je n'ai pas osé dire un mot. Enfin je ne savais pas quoi dire plutôt.

– Tu n'es qu'une gamine prétentieuse et incontrôlable qui recherche la gloire dans la douleur des autres. C'est à cause de gens comme toi qu'on est cloîtrés ici. Des gens incapables de canaliser leurs pulsions. À cause de toi je suis obligée de vivre enfermée dans une grotte, coupée du reste du monde. Le pire c'est que tu es fière d'avoir battu tout le monde, tu le cries sur tous les toits. Tu me fais honte. Honte parce que les gens dehors imaginent qu'on est tous comme toi. Tu me dégoûtes Athéna.

Elle était injuste, pire que ça, hautaine. Elle ne savait même pas ce que je ressentais et elle se permettait de me juger. Je savais qu'elle ne m'avait jamais franchement appréciée, certainement à cause des rumeurs sur les sentiments de Neptune envers moi, mais je ne pensais pas qu'elle me détestait. J'aurais voulu parler calmement et ne pas faire d'histoires, mais ma nature m'en a bien évidemment empêché. J'ai démarré au quart de tour, répondant à la provocation :

– Mais tu es qui pour me parler sur ce ton ? Tu es qui pour me reprocher d'être moi ? Tu es comme moi, exactement la même. Ce n'est pas de ma faute si tes crétins de géniteurs ont préféré la science à toi. Ce n'est pas non plus de ma faute si tu es aussi violente que nous. Sauf que toi tu n'assumes pas de l'être. Non, madame préfère jouer les frêles créatures sans défense alors qu'elle est capable de bien pire que briser les côtes de tout le monde ici présent. Ou alors peut-être que tu es jalouse ? De moi par exemple. Tu prétends ne pas vouloir te battre pour ne pas être humiliée en essuyant une défaite.

Au fur et à mesure que je parlais, mon ton montait et j'ai fini par me lever en hurlant. Tout le monde nous regardait mais je n'en avais rien à faire. Les esclandres étaient monnaie courante ici, personne ne s'en formalisait.

Izanami est devenue aussi rouge que les tomates placardées sur les murs.

– C'est donc bien ça, tu es jalouse, ai-je conclu en me dirigeant vers la porte d'un pas colérique, oubliant mon plateau au passage.

Je regrettais déjà mes paroles lorsque je suis parvenue dans le couloir menant au dortoir. J'avais parlé sur le coup de la colère, et même si tout ce que j'avais dit été fondé, je n'aurais pas dû l'exprimer de cette manière. Toujours ce fichu caractère.

Je me suis jetée dans mon lit puis j'ai enfoui ma tête dans l'oreiller. Je n'ai pas pleuré, non, j'ai hurlé. Le son étant largement diminué, j'ai pu éliminer tous les restes de rage et de culpabilité sans que personne ne m'entende.
Enfin c'est ce que je croyais jusqu'à ce qu'une main effleure mon dos.

– Lucie...

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