Episode 5 - Première neige

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L'hiver commence tôt dans le nord de la Chine. L'automne n'est qu'une brève saison intermédiaire, à peine un soupir au milieu des feuilles tombantes. Aux premiers jours de Novembre, le thermomètre embrasse déjà le zéro. Et ce n'est que le début, l'aperçu d'un hiver long de six mois au minimum. Au plus profond de la saison tombent des neiges qui ne fondront plus avant le printemps, et il fait si froid que l'air que vous soufflez au travers des masques de laine – accessoire indispensable pour survivre dans le nord – se condense et forme de petits cristaux de glace sur vos cils.

La vie ne s'arrête pas un seul instant pourtant. Les habitants de ces régions ont l'habitude de ce climat rude. Quant à moi, je me réveillai chaque matin dans une aube un peu plus froide que la précédente, partagée entre la peur et l'excitation à l'idée des températures polaires qui se rapprochaient.

N'imaginez pas que j'avais oublié la question qui me taraudait depuis des jours. Comment aurais-je pu ? Et je n'avais pas eu le moindre semblant de réponse non plus. Mais je ne comptais pas m'arrêter de vivre pour autant. La vie continuait, et qu'importe cet éclat de quelque chose que j'avais cru lire dans les yeux de Nim, il était toujours à mes côtés, l'ami indéfectible. Si bien qu'Ana me faisait parfois un peu la tête. J'avais de plus en plus tendance à manger avec lui, en tête à tête, au milieu du millier d'étudiants qui braillaient dans l'immense cantine du campus. Son chinois était plus avancé que le mien, et il prenait un plaisir fou à me voir progresser, m'expliquer telle ou telle chose qu'il avait appris en cours, et m'enseigner quelques petits mots de sa langue natale également. Mes professeurs peinaient à croire aux progrès que je faisais en classe, et me voyaient déjà passer au niveau suivant au prochain semestre. Ce n'était pas par bonté de coeur cependant. Les niveaux les plus avancés dans lesquels ils m'imaginaient déjà — bien que, croyez moi, j'en étais encore loin — n'avaient généralement que des étudiants coréens et japonais. Tout élève blanc qui atteindrait ce niveau serait inévitablement un bon moyen de rendre l'école plus internationale dans les revues et les photos de classe. Ce qui, en retour, amènerait plus d'étudiants à s'inscrire. Ah, la Chine. Ma première expérience flagrante de discrimination positive. Négative, également, mais laissons ça pour plus tard.

De toute façon, plus encore que l'imagination débordante de mes professeurs, plus encore que les messages codés cachés derrière les paupières de mon peut-être-peut-être-pas petit ami, quelque chose de nouveau et d'excitant se profilait à l'horizon. La neige.

Un matin, peu après la mi-novembre, le ciel déversa finalement ses premiers flocons. Ce n'était guère plus qu'une poussière blanche et soyeuse, mais puisqu'il faisait déjà bien quelques degrés en dessous de zéro, elle ne pourrait plus fondre. La poussière deviendrait duvet, et couvrirait la ville d'un manteau blanc qui survivrait pendant des mois.

A la fin des cours, l'ensemble des élèves s'élança dans la cour en riant. L'heure était à la fête. Je suivis la foule, un sourire béat sur les lèvres. La neige m'avait toujours mise dans un état radieux qui frisait parfois la niaiserie. A la vue des étoiles minuscules qui tombaient sur mes gants je ne pus réprimer un gloussement et, à grand peine, réussis à ne pas me mettre à danser.

Croyez-moi, je l'aurais fait si Nim n'avait pas été dans mon dos à me dévisager avec curiosité.

— Il ne neige pas, en France ? me demanda-t-il

— Si, bien sûr, mais jamais aussi tôt dans l'année.

— On dirait que tu n'as jamais vu la neige, rigola-t-il alors que je tendais les mains pour attraper des flocons.

— Non, non, j'aime juste beaucoup la neige c'est tout. Je dois être comme ça chaque fois. On rentre ?

Nim acquiesça et me dépassa pour entrer dans le bus, après avoir salué Yuji qui restait déjeuner avec Ana. Je lui fis un clin d'oeil pendant les deux jeunes hommes se regardaient. Je n'étais pas la seule à vivre une petite aventure avec un coréen on dirait, et cela me remplissait de joie. Il faudrait que je la prenne à part pour lui demander tous les détails.

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