Episode 1 - La rencontre

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Mon histoire commence donc avec la Corée, mais pas celle dont j'ai promis de parler. En cet automne dont nous tairons l'année, j'étudiais dans le nord de la Chine grâce à une bourse obtenue au lycée. Il y avait six français dans l'institut des langues, ainsi qu'une multitude d'étudiants de différentes nationalités. L'automne était là pour durer, et j'avais décidé de profiter des derniers jours de beau temps pour faire un tour du côté du Lac Céleste qui marque la frontière avec la Corée du Nord.

Je vous passerais les détails de cette fabuleuse épopée, où les pluies diluviennes nous ont forcé à quitter la route pour nous enfoncer dans une forêt inhabitée dans laquelle nous nous sommes finalement perdus (surtout quand on sait qu'on n'est pas loin de la Corée du Nord, c'est vraiment pas malin), avant de nous arrêter dans une clairière déserte pour dormir quelques heures et d'être réveillés avant même l'aube par des silhouettes mystérieuses nimbées de bleu qui se rendaient au travail. Ou bien, c'était la réunion secrète d'une secte ésotérique, je suppose que je ne saurais jamais. Bref, c'est une histoire à part entière, mais ce n'est pas ce qui m'amène ici.
La raison pour laquelle j'invoque cette visite, c'est que nos mésaventures sur la route nous mirent en retard, et ce fut donc le lundi matin, aux alentours de 6h, que je rejoignis finalement ma chambre étudiante à côté de l'Université. Un choix terrible s'offrait à moi, plonger dans un sommeil réparateur et rater les cours de la journée, ou bien prendre un café et une douche (pas forcément dans cet ordre) et me préparer pour la fac. Dans une situation comme celle-ci, dormir une heure en se disant, « c'est mieux que rien » est un piège grossier dans lequel ne tombe que l'étudiant débutant. Et débutante, je ne l'étais point.
Vous vous doutez bien que si j'avais pris le parti de me glisser dans mes draps, je ne serais pas ici à vous narrer cette rencontre. Je ne surprendrai donc personne en avouant que je décidai, en ce matin d'automne, de me tirer dans la douche, d'arranger mes cheveux dans quelque chose qui ressemblait vaguement à un chignon, et de mettre les premiers vêtements qui me passèrent sous la main. Maquillage ? Quel maquillage ? J'aurais à peine pu garder les yeux suffisamment ouverts pour me mettre du mascara. Et puis ça aurait voulu dire perdre du temps à me démaquiller à mon retour et je cherchais déjà à minimiser au maximum les tâches à effectuer pour me glisser dans mes draps à peine rentrée.
Rien de tel que de ressembler à un zombie le jour d'une rencontre amoureuse n'est-ce pas ? Je suppose que si l'on savait ces choses avant qu'elles n'arrivent, cela serait nettement moins drôle...

Nous avions cours jusqu'à midi, puis un bus nous ramenait jusqu'au dortoir des étudiants étrangers. J'étais en train d'attendre ledit bus en discutant avec une amie que nous appellerons Ana (parce qu'on l'appelait vraiment ainsi). Discuter est un bien grand mot. Elle me parlait et je me contentais d'acquiescer lentement, sans doute avec beaucoup de retard, le temps que l'info me parvienne au cerveau embrumé.

- Oh Ellie ! Tu te rappelles des amis coréens dont je t'avais parlé ? Je vais te les présenter, viens.

- zhhckvlllehhdkblllz ?

- Hein ? Tu parles quelle langue là ?

- zjhhhzbbl zhsbxkvjhll ghekcjo !

Il me faut prendre un moment pour préciser que l'épidémie qu'on appelle Hallyu avait déjà touché depuis de nombreuses années la Chine et les pays mitoyens, dont la Mongolie, dont était originaire Ana. Quand on s'écriait « des Coréens ! » les jeunes femmes commençaient immédiatement à s'éventer sur le passage de ces héros. Il nous fallut donc fendre la foule pour approcher les deux amis, elle, telle Moïse avec son bâton, et moi tel un petit chien obéissant. Ou un escargot bien baveux. Imaginez un être sans volonté, lent, habillé n'importe comment et qui se bat pour garder les yeux ouverts et vous aurez un tableau à peu près convaincant.
Une fois le hall traversé, nous rejoignîmes les deux coréens, nonchalamment adossés au mur, discutant à voix basse sans prêter attention aux murmures de leurs adoratrices.

- Yuji ! Nim ! (Car c'est ainsi que nous les nommerons)

- Ana ! Comment vas-tu ? Tu n'es pas venue à la séance d'étude hier, tu nous as manqués...

Je dévisageai les deux inconnus d'un oeil un peu vitreux. Le premier, celui qui avait répondu à Ana, était aussi fin que long, le visage aristocratique et la voix plus grave que son physique ne le laissait présager. Son allure de premier de la classe était renforcée par son sourire poli et les cours qu'il tenait à la main. Il me salua de la tête, visiblement un peu gêné par ma présence. Même dans notre école, pourtant l'un des principaux centre de chinois de la région, les Européens et Américains étaient rares. À moins que ce soit les ondes négatives émises par mon cerveau fatigué qui le mettaient mal à l'aise.

- C'est mon amie, Ellie, reprit Ana en me tirant à ses côtés. On est dans la même classe. Elle parle plutôt bien le chinois...

- Salut Ellie, moi c'est Nim, me lança le second Coréen.

Je tournai les yeux vers lui. Légèrement plus petit que son compagnon (mais toujours plus grand que moi, malgré mon mètre soixante-quinze), il avait les épaules larges et le visage à moitié dissimulé par une casquette de baseball. Il portait ce jour-là un pantalon large à motif militaire et un t-shirt imprimé de motifs obscurs. Deux petits bijoux noirs sur ses oreilles réfléchissaient la lumière de la lampe au-dessus de nous.

Le premier de la classe et le bad-boy ? Je ne pus m'empêcher de sourire. Ana devait rendre jalouse la moitié des filles de notre école.

Le bus arriva enfin, et avec lui la promesse de retrouver mon oreiller. Je jetai des regards envieux vers les élèves qui montaient tranquillement à bord.

- Bon, c'est pas tout ça mais... essayais-je de ma voix post-nuit blanche la plus polie possible

- Tu viens d'où Ellie ? demanda Nim

- Euh, de France. Je vais pas tarder parce que...

- De France ? Ouah, c'est trop cool ! Le pays des romantiques...

- Ouais, ouais c'est sans doute ça... bon je suis désolée mais..

- Et tu es arrivée quand ici ?

- Euh... Je... Euh...

Ça parlait toujours autant les bad-boy ? Aux dernières nouvelles, ils étaient plutôt du genre ténébreux et silencieux non ? Je jetai un nouveau coup d'oeil rapide vers le bus qui était désormais presque plein. Quand je ramenai mon regard vers Nim, il avait les sourcils froncés et m'observait avec un air mécontent. Il faut croire que je n'avais pas été aussi discrète que je l'avais cru.

- Euh, vous... vous ne rentrez pas au dortoir ?

- Non, répondit Nim d'un ton plat. On va déjeuner d'abord. Tu veux te joindre à nous ?

- Ah, euh... La prochaine fois sans doute. J'ai quelque chose... Je dois y aller.

- Je vois.

- Bon bah, salut hein. A la prochaine.

- Ouais, c'est ça. Salut.

Je me lançai dans la foule sans demander mon reste. Un doute me saisit lorsque les portes du bus se refermèrent derrière moi. Venais-je de me montrer tout particulièrement malpolie ? C'est qu'on s'imagine souvent qu'on a une responsabilité vis-à-vis de la réputation de son pays lorsqu'on vit à l'étranger... Enfin, ce n'était pas bien grave, ce n'était pas comme si j'aurais l'occasion de les revoir. Je m'excuserai envers Ana très bientôt et cela réglerait le problème.

Mais tout d'abord, mon lit.

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Bienvenue à toi, lecteur, qui est arrivé sur cette page et a eu le courage de lire ce premier épisode ! j'espère que ce petit aperçu de l'histoire t'a plu (n'hésite pas à me donner ton avis ou tes conseils afin que je m'améliore). Je posterai régulièrement, à raison d'un épisode par semaine, mais si tu es très impatient, la suite est dores et déjà dispo sur le site de K.owls, au lien suivant : http://koreasowls.fr/category/culture-2/les-hiboux-vous-racontent/dating-a-korean/

Dating a KoreanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant