Chapitre 46

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Sommeil : envie de dormir.

Voilà le mot qui correspond à mon état actuel.

Depuis un moment maintenant, je tourne en rond dans mon lit d'une personne. J'entends les Tic-Tac de l'horloge résonner dans toute la chambre. J'entends les ronflements de mes camarades. Moi je suis allongée, à repasser en boucle ce qu'il s'est passé ce matin. Je n'arrive pas à me faire d'avis dessus. Je n'arrive pas à savoir si je dois leur faire confiance ou pas. Je n'arrête pas de me demander pourquoi moi et pas quelqu'un d'autre. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi qui me réveille en premier et pas quelqu'un d'autre ?

Après un long moment de réflexion, je décide d'aller me dégourdir les jambes sans savoir si j'ai le droit de sortir de ma chambre en pleine nuit. J'essaie de faire le moins de bruit possible, enfile ma paire de basket posé au pied de mon lit, marche sur la pointe des pieds et en tâtonnant le mur, trouve enfin la poignée de la porte. Je l'ouvre avec précaution, et sors de la pièce en la refermant derrière moi sans un bruit.

Je souffle de soulagement en apercevant qu'il n'y a pas âme qui vive dans les couloirs. Je commence alors à me diriger vers la gauche sans but précis de ma destination. Mes chaussures crissent légèrement sur le sol, mais après avoir trouvé la bonne démarche, j'erre comme un fantôme dans sa forteresse.

Je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas ce que je fais. Je pense, je réfléchis, j'imagine tandis que mes jambes me guident. J'ai une entière confiance en elles, je les laisse m'emmener là où elles le souhaitent. Je passe aussi bien devant la cantine, que devant notre salle d'entraînement ou celle des évaluations. Errer est le mot qui correspond cette fois-ci.

A de nombreuses reprises, je revois le visage de Marc souriant, amical. Mon esprit me pousse à lui faire confiance. Il avait l'air tellement sincère et il avait les arguments pour me convaincre. Mais suis-je prête à tout risquer pour lui, pour eux ?

Lui et moi avons à peu près la même vision du monde. Nous venons de deux endroits complètement différents et pourtant nos avis sont si proches. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas et pourtant j'ai eu l'impression qu'il me connaissait depuis toujours. La façon dont il m'a décrite, l'image qu'il a faite de moi, a encore plus fait pencher la balance en sa faveur.

Mais suis-je assez courageuse pour les aider ? Je pense maintenant à ma famille et à mes amis. Que diraient-ils s'ils découvraient que j'aidais les rebelles dans leur mission ? M'en voudraient-ils ? Mes parents n'accepteraient jamais. Ils ont déjà perdu un fils, ils n'accepteront jamais de perdre leur fille. Je ne les ai pas revues depuis un certain moment et je n'arrive même pas à les imaginer vivre aujourd'hui.

Après avoir traversé une bonne cinquantaine de couloirs, mes yeux commencent à se fermer tout seul. Je m'arrête devant un plan, regarde où je suis, ainsi que ma chambre, et me dirige vers celle-ci.

**********

J'émets un énorme bâillement à m'en décrocher la mâchoire, quand j'arrive devant la chambre. Étrangement la porte est entrouverte, j'étais persuadée de l'avoir bien fermé tout à l'heure. La fatigue prenant le dessus, je ne m'arrête pas sur ce détail et décide d'entrer.

La porte s'ouvre en silence et laisse entrer un mince filet de lumière à l'intérieur. Mes yeux se ferment désormais tous seuls et dans un geste maladroit, je donne un coup de talon dans le battant qui fait entrer encore plus de lumière. Je prie intérieurement de n'avoir réveillé personne, mais ce qui j'y vois met fin à ma prière en deux secondes.

Deux possibilités s'offrent à moi : soit je dormais depuis le début et je refais cet éternel cauchemar, soit mon cauchemar est bel et bien réel. La lumière bien trop présente dans la chambre me fait choisir la deuxième option.

Devant chaque lit, une personne habillée et cagoulée tout de noir vêtu. Personne ne semble avoir réagi à la lumière qui s'infiltre dans leur dos. D'un geste simultané pour chacun, il fouille dans leur poche et en sors quelque chose de bien trop petit pour que je puisse voir. Ils se penchent chacun leur tour sur la personne allongée devant eux, ouvre leur bouche d'un geste presque doux, et leur fait avaler ce qu'ils ont sortie de leur poche. Mes camarades, à tour de rôle, se réveillent en sursaut, se débattent, et se rendorment aussitôt comme si rien ne s'était passé. Je suis là, la bouche grande ouverte, à regarder trop sonnée par ce qui se passe pour réagir. La personne en face de mon lit se penche alors, soulève les draps mais recule presque aussitôt qu'il a découvert que je n'y étais pas. Il jette un regard aux autres hommes noirs avant de se retourner vers la porte. Il me voit dans l'embrasure, et avant même qu'il ait fait un pas, je prends mes jambes à mon cou.

S'ensuit alors une course poursuite entre les couloirs. Encore une fois je fais entièrement confiance en mes jambes pour qu'elles m'emmènent loin de ces hommes, loin de tout ça. Je tourne à une bonne vingtaine d'intersections avant que mon assaillant ne me rattrape. J'accélère la cadence encore plus qu'elle ne l'était déjà et me retrouve dans un cul-de-sac. Je me retourne complètement paniquée, mais il n'y a personne pour m'y attendre. Sur la défensive, je me déplace et penche la tête au coin du couloir pour voir s'il ne m'y attend pas. La voie est libre. Je me remets à courir tout en faisant attention à chaque recoin.

Je passe devant des centaines de portes qui sont toutes fermées. Je passe devant des dizaines d'intersections sans qu'il n'y ait personne. Je m'arrête pour reprendre mon souffle et jeter un rapide regard pour savoir où je suis, quand je me fais violemment plaquer sur le sol.

Vient alors une bataille de bras et de jambes. Je me débats comme je peux, tape là où je peux. Plusieurs fois, il m'attrape le visage et essaie d'ouvrir ma bouche, mais je sers les dents. Je lui tape au visage, au torse, sur les cuisses mais il ne bouge pas. J'arrive finalement à lui donner un coup de genou entre les jambes, ce qui le fait vaciller sur le côté. Je me relève rapidement et repars instantanément. Je tourne deux fois sur la droite. Mais il est bien plus rapide que moi. Il m'attrape par les cheveux et me ramène vers lui. Le bras autour du cou, je lui assène d'autres coups de poing. Je le griffe à sang, n'hésite pas à lui cracher dessus, lui arrache sa cagoule et le griffe au visage mais ça ne lui fait rien. Je me retiens de crier et serre les dents jusqu'à en avoir mal. Je donne un coup de tête en arrière ce qui tape dans son nez et dessert son étreinte. Je me glisse et m'extirpe une seconde fois de son emprise. En moins de temps qu'il ne m'en a fallu pour me dégager de ses bras, il me rattrape, cette fois-ci par mon pyjama et le déchire. Sa main est agrippée autour de mon col, m'empêchant d'aller plus loin. Je redonne un coup de poing dans son nez déjà en sang. Il me projette alors contre le mur, ma tête se cogne violemment et je m'écroule au sol. Je n'ai absolument plus aucun repère. J'ai la respiration saccadée, les bras en sang, le cœur qui bat la chamade. Ma tête tourne tellement que je n'arrive pas à me relever sans m'écrouler à nouveau. Je suis faible. Trop faible. J'ai perdu. Je ne peux plus rien contre lui. Avec le peu de conscience qu'il me reste, je le regarde droit dans les yeux, avec un air de défi. Ses bouclettes blondes lui tombent jusqu'aux épaules. Ses yeux d'un marron extrêmement clair me scrutent avec comme de la tristesse à l'intérieur. Puis il tourne la tête. Non pas vers moi, mais vers l'autre côté du couloir. Et il s'en va. Il s'en va me laissant impuissante sur ce sol dallé gris. Une quinte de toux me prend, et m'oblige à cracher du sang sur ces dalles impeccables. Je tente une nouvelle fois de me relever, mais je n'ai plus de force. Je m'écroule une dernière fois, ma tête tape une seconde fois contre le mur sauf que cette fois-ci je ne me réveillerais pas. 

L'Envers du Décor [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant