Cendrillon (mais pas trop) [Terminé]

Chapitre 1

Dans le grand Far West, là où la terre est plus aride et plus sèche que nulle part ailleurs, où le soleil est brûlant et où les bandits courent les routes, il existe une petite ville, comme il y en a tant d'autres dans le pays ; cette bourgade, Lead City, avait été construite par Molly Brown ; l'intelligence de cette femme l'avait poussée à équiper sa ville d'une gare, d'un saloon, d'une salle d'armes, et de tant d'autres choses qui faisaient que Lead City accueillait de nombreux voyageurs, souvent fortunés.

Molly Brown devait à sa beauté d'avoir eu deux maris. Du premier, elle avait eu deux filles, Jane et Rachel, et un immense héritage ; du second, mort un an après le mariage, elle avait dû adopter la fille de ce dernier, mais surtout avait récupéré la propriété d'une mine d'or exploitable. C'était le seul bénéfice qu'elle avait trouvé de cette seconde union, car elle haïssait sa belle-fille, nommée Alex, autant qu'elle adorait les deux premières qu'elle nommait ses « trésors ».

La jeune Alex était rapidement devenue la servante à tout faire de la famille ; la pauvre n'avait pour la protéger que Isha, un vieil indien ami de son défunt père, mais qui était souvent impuissant devant les cruautés que lui infligeaient Jane, Rachel et Molly. Son caractère rebelle et parfois garçon manqué empêchait les gens de s'apercevoir de la beauté d'Alex : de taille moyenne, elle avait des cheveux noirs et brillants, mais toujours attachés en queue-de-cheval, d'immenses yeux de jais dont l'éclat était souvent masqué par le chapeau à large bord dont elle se coiffait, et le teint hâlé de celles qui passent leur temps libre au grand air. La pratique secrète qu'elle avait de la lutte lui avait donné un corps parfait, à la musculature fine mais efficace, mis en valeur par un pantalon serré, pratique pour monter sur le cheval de Isha, et une chemise taillée comme celle des Cow-boys.

Un jour, un courrier apprit à Molly qu'un prince était en route pour Lead City. Cette femme intelligente vit là un excellent parti pour l'une de ses deux filles aînées, qui atteignaient respectivement dix-sept et seize ans. Afin de mener à bien ses projets, Molly organisa un grand bal au saloon et ordonna aussitôt à Alex de coudre des étoles, des gants et autres accessoires pour ses trésors.

Alex se moquait bien de l'arrivée du prince. Pour elle, il ne s'agissait que d'un client de plus à servir, et d'autres bottes à nettoyer. Rachel et Jane, en revanche, étaient surexcitées et passaient leur temps à choisir leurs chapeaux pour la soirée, s'entraîner à danser pour impressionner le futur hôte et martyriser Alex qui ne cousait pas assez vite.

Le lendemain, en fin d'après-midi, le prince arrivait par le train. Molly, Rachel et Jane attendaient sur le quai. Sur un signe de Molly, Alex alla chercher les bagages du prince. Isha, jamais bien loin de sa protégée, cueillait nonchalamment des fleurs de cactus quelques mètres plus loin.

Voyant qu'Alex peinait à soulever les lourdes malles, le prince se pencha vers elle.

-Vous n'avez pas besoin de prendre mes bagages, vous savez. Je peux le faire tout seul.

-C'est pas moi qui décide ici, répondit-elle d'un ton glacial.

Ce personnage se croyait-il irrésistible en se montrant faussement galant ?

-Comme vous voudrez. Puis-je au moins savoir votre nom ?

Alex leva les yeux d'un air exaspéré avec l'intention de répondre vertement, mais lorsque son regard rencontra celui, bleu céruléen, de son interlocuteur, ses reproches ne voulurent pas sortir de sa gorge. Elle détailla le corps musclé du nouveau venu, ses cheveux brun clair un peu ébouriffés, son sourire qui creusait une fossette dans sa joue droite. Elle sentit un étrange trouble s'insinuer en elle, accompagné d'une irritation qu'elle ne comprenait pas.

-Je... je... en fait...

-Elle s'appelle Alex, répondit Isha.

-Eh bien Alex, merci pour les bagages mais je peux m'en occuper moi-même.

Il prit les malles et s'éloigna en direction de Molly et ses filles qui l'attendaient un peu plus loin.

Lorsque Molly vit le jeune homme porter ses bagages, elle crut qu'Alex l'avait mal reçu, comme elle le faisait parfois avec des clients de passage dont la tête ne lui revenait pas. Elle vint au-devant du prince.

-Ne vous occupez pas de ça altesse, Alex va très bien s'en charger.

-Non merci, je lui ai dit que je pouvais porter mes affaires seul, répondit l'intéressé, poliment mais fermement.

-Ne dites donc pas de sottises, laissa-t-elle échapper un peu trop brusquement. ALEX !! VIENS ICI !! hurla-t-elle.

Alex soupira et se dirigea avec une mauvaise volonté évidente vers sa belle-mère.

-Tu vas prendre les bagages du prince - elle les prit délicatement des mains du prince et les mit violement dans les bras d'Alex) et tu les amènes à pied au saloon pendant que nous on y va en calèche, COMPRIS ?

Pour toute réponse elle se mit en route pour le saloon. Arrivé au saloon, le prince attendit Alex en bas du grand escalier.

Il lui prit les mains lorsqu'elle arriva.

- Je suis vraiment désolé pour ce qui vient de se passer. Sans vouloir mettre mon titre en avant, je pense que votre mère se comporte comme ça parce qu'il y a un prince dans les parages.

Alex sentit de nouveau cette étrange irritation envers le nouveau venu. Elle répondit d'un ton tranchant :

-Premièrement elle est comme ça tout le temps avec moi. Deuxièmement ce n'est pas ma mère mais ma belle-mère. Troisièmement ne vous croyez pas irrésistible.

Le prince parut décontenancé.

-Je suis désolé, je ...

-Ne prenez pas la peine de répondre à ce genre de commentaire, c'est un conseil.

Et, sans un regard de plus sur le prince et son regard océan, la jeune fille monta l'escalier (de service, puisqu'elle n'était ni plus ni moins qu'une servante qu'on doit cacher à la vue des clients) et entra dans la chambre préparée pour lui.

Comme d'habitude lorsqu'elle se retrouvait confrontée à la réalité d'une richesse qu'elle ne connaissait pas, la vue de la chambre lui coupa le souffle. Molly l'avait arrangée de manière à ce qu'un prince s'y sente parfaitement chez lui : fleurs, table de travail, lit immense, tapis précieux et tableaux aux murs. On voyait bien qu'elle avait tout misé en espérant conclure quelques jours plus tard un heureux mariage pour Rachel ou Jane.