La Dernière Femme - Tome 1

Chapitre 9

Lorsqu'il remarqua sa présence, il fronça les sourcils puis appuya un bon coup sur le klaxon. Il voulait s'éloigner de cette ville de malheur le plus vite possible, mais ce sale gosse prenait plaisir à lui faire perdre son temps. L'autre commença à faire des signes avec ses mains, sûrement pour lui communiquer un message, que Kad ne chercha même pas à comprendre. Il voulait juste qu'il monte dans cette putain de voiture.

Erin se résigna à lui faire comprendre quoi que ce soit à distance. Elle s'approcha alors à petit pas, puis décida de mettre ce différent de côté pour une fois. Cependant, une fois la portière ouverte, l'odeur la frappa brutalement, malgré le tissu qu'elle avait enroulé autour de son visage, en plus de l'écharpe plus ou moins sèche accrochée à son cou, qu'elle avait momentanément déposé sur le nez. Elle referma la porte sous le regard incrédule de son accompagnateur. Réfléchis, réfléchis, se disait-elle en regardant tout autour. Ses yeux se posèrent alors sur le drôle de chariot à l'arrière. Une remorque, comme le lui avait dit le premier homme qu'elle avait vu.

Sans laisser le temps à Kad de parler, elle se dirigea vers l'arrière, grimpa à l'aide d'un seul pied sur la roue épaissie par une drôle de matière noire, puis passa de l'autre côté en tombant sur le métal froid, entre des bâches diverses. Voilà où elle allait voyager.

La portière claqua et un souffle d'exaspération lui parvint aux oreilles. Si elle semblait satisfaite de sa place, l'autre n'en pensait pas la même chose.

« Je peux savoir ce que tu fous ? T'as un problème avec la voiture ou juste avec moi ? s'écria-t-il à bout de nerfs, Putain, il passa une main rageuse dans ses cheveux, Fais ce que tu veux mais s'il t'arrive un truc, sache que je ne regarde jamais en arrière.»

Son cœur rata un battement lorsqu'il prononça ces dernières paroles. Sans qu'elle réagisse, il fit demi-tour, claqua la portière, et fit gronder le moteur. Elle, elle avait perdu le fil du temps. Quand est-ce qu'elle avait entendu ces mêmes paroles sortir de la bouche de son père à l'attention de son seul et unique fils, alors que ce dernier s'éloignait sans un seul regard ? Quand est-ce que son père lui avait prononcé ces mêmes mots lorsqu'elle cherchait à le raisonner en ce qui la concernait elle et sa mère, juste avant que celle-ci ne soit retrouvée sans vie dans sa chambre froide ? Quand est-ce qu'elle avait retrouvé son père mort de chagrin dans un de leurs champs, après avoir semé la zizanie au sein de la famille ? Erin ne savait à qui en vouloir. Si son frère n'était pas parti, ils seraient tous les quatre réunis dans la maison en ce moment. Si son père ne leur avait pas interdit la vie en communauté, ils seraient toujours ensemble. Si son père n'était pas devenu distant, sa mère et lui seraient toujours là. Si Blake les avait emporté avec lui, ils seraient tous les trois, mais au moins sa mère serait vivante, son frère à ses côtés, et son égoïste de père seul dans une maison de campagne.

Mais à chaque fois, elle y revenait. S'il ne les avait pas préservé de ce monde, serait-elle toujours en vie ? Elle ignorait comment, mais il le savait. Elle ignorait comment, mais il la protégeait. Si seulement il n'avait pas sombré, elle aurait eu plus d'estime pour lui. Elle ne comprenait pas pourquoi, et elle ne comprendra sans doute jamais.

Une idée lui serra le cœur. Qu'est-ce qui lui garantissait que Blake était toujours en vie ? Jusque là, elle n'avait découvert que la souffrance, l'égoïsme, la misère, le désespoir, mais surtout la mort. Comment pouvait-elle croire qu'il avait pu survivre à une explosion ? Ou encore à la faim ? La violence ? Et si en réalité, il faisait partit du «clan» dont parlait Kad, et qu'au lieu de s'en approcher, elle s'éloignait de lui ? Si c'était le cas, elle ne voulait pas le rejoindre. Avec ce qu'elle avait vu, une seule femme parmi eux sera-t-elle traitée de la même manière qu'un autre homme ? D'après le vieil homme, elle devait se cacher, ce n'était pas pour rien. Erin ne savait pas comment la gente féminine était considérée en société, et quel était son rôle.