La Dernière Femme - Tome 1

Chapitre 20

On dit que brûler vif provoque la pire douleur jamais ressentie. Malgré le fait que le feu se tenait à des mètres face à elle, sa mère continuait de lui couvrir la bouche à l'aide d'un tissu fin, comme s'il allait apporter un quelconque changement. « Reste éloignée du feu, ma fille. Respirer les cendres est nocif pour ta santé.», avait-elle répété. De là où elle était, Erin voulait s'avancer, sentir la chaleur l'imprégner et le souffle brûlant glisser sur les parcelles de son visage. Blake en avait le droit, mais restait à une bonne distance du feu, tandis que son père s'agitait tout autour en y lançant des branches. 

L'aquilon qui passait par là, fit valser les flammes ascendantes dans un crépitement et onduler les feuillages ombrageux d'un friselis. Son frère abhorrait le feu. Il pensait plus aux conséquences qu'à l'instant présent, et préférait le regarder de loin avec un légère crainte, ne quittant jamais des yeux les lueurs graciles qui couraient sur l'herbe. Il pourrait rester ainsi, tendu comme un arc, pendant toute la nuit durant laquelle le silence vespéral serait remplacé par ce bruissement doucereux. Elle ne savait plus pourquoi le feu était allumé ce jour là, mais elle se rappelait de la frayeur de Blake lorsqu'une étincelle avait bondit plus près de lui, et du rire moqueur qu'elle avait laissé s'échapper.

Quelle ironie d'y penser alors qu'Erin glissait entre les troncs et les branches croulantes pour fuir ce qu'elle avait autrefois convoité. Plus le feu était grand, plus elle s'y plaisait. Pourtant, seul la crainte et l'accablement la secouaient et emmêlaient ses jambes épuisées. Néanmoins, la poigne solide qui retenait son bras l'encourageait à tenir le rythme. 

Après que Hung se soit dévoué en brave homme qu'il était, d'autres bruits s'étaient ajoutés. Elle avait alors compris qu'il n'avait dit son dernier mot, et tenait parole, juste le temps pour eux de fuir. Les paroles de Gavin lorsqu'il le présentait lui revinrent en mémoire. L'esprit du héros lui convenait parfaitement.

Le camion apparut soudainement devant eux, et lorsqu'ils y grimpèrent, Kad ne tarda pas à le faire ronronner. Rapidement, les roues se mirent à tourner, et le véhicule avança. Bientôt, les seuls sons qui déchiraient l'espace habituellement paisible étaient des voix qu'on entendait faiblement, et le crépitement du feu dont la nitescence éclairait les bois obscurs. La fusillade avait pris fin, et elle ne se posait même pas la question du vainqueur. Son accompagnateur non plus, vu la vélocité que prenait le camion. mirifique.

La jeune femme imaginait l'asiatique, au milieu des flammes, une arme à la main et impavide, éliminant ceux qui s'en sont pris à sa famille. Puis finalement, après son acharnement, une balle aurait eu raison de lui, son corps croulant recru et abîmé au milieu les lueurs orangées, mais un simple sourire où sa dernière pensée serait adressée à sa femme et sa fille. Son cœur se serrant, elle laissa ses larmes fuir librement. Elle les connaissait à peine. Ils s'étaient montré particulièrement brutes et désagréables, mais affronter un décès aussi violent restait toujours aussi difficile. À la simple pensée de Seattle, un sanglot faillit glisser de ses lèvres. Les respirations qu'elle prenait étaient saccadées, ses yeux fixaient plus le vide que la nature, avant de se détourner.

Elle regarda Kad, la mâchoire serrée, sourcils froncés, mains tenant fermement le volant. Plus ses paupières clignaient, plus sa fureur grandissait et son corps se contractait. Elle reporta son regard sur le chemin, secouée en même temps que le véhicule sur la terre rigoureuse et semée d'embûches.

« Maudit soit celui qui abandonne sa famille.». Ses derniers mots revinrent et tournoyèrent sempiternellement dans sa tête. Peut-être qu'il l'avait dit consciemment, mais ces paroles décrivaient parfaitement sa situation. Blake était parti en les laissant derrière, et cette pensée la fit serrer les poings. Ne pas y penser maintenant, Erin, se rabâcha-t-elle plusieurs fois mentalement.