Je suis consciente que ça ne peut pas être Max, à moins que les fantômes existent réellement. Pourtant, mon subconscient ne cesse de me ressasser l'image de son visage de démon et son sourire narquois dont il me gratifiait chaque fois qu'il me mettait une raclée. J'en frissonne d'angoisse encore aujourd'hui. Ce soir, je ne vois personne. Je n'ai pas envie d'appeler la police tant que je ne suis pas sûre de qui est cette personne mystérieuse et ce qu'elle me veut. Si ça se trouve, ce n'est qu'un promeneur nocturne ou tout simplement un effet d'optique en fonction de la position de la lune qui me fait voir une ombre mais qu'en fait, il ne s'agit que la juxtaposition des ombres des arbres. Pff, quelle idée d'habiter quasi au milieu de la forêt ? Lorsque j'ai appris qu'une grand-tante américaine dont je ne connaissais même pas l'existence est morte et qu'elle m'avait légué sa maison, il y a quatre ans, c'était presque une ruine. Mais avec l'aide d'un architecte et de l'entreprise qui était censée me faire ma véranda mais qui a soudain mis la clé sous la porte, j'ai réussi à faire de ce taudis un cocon douillet et fonctionnel en cet hiver plutôt glacial. En parlant d'hiver, c'est bientôt Noël et je n'ai toujours pas de trouver de cadeau à offrir à Kelly. Si j'ai découvert que je préférais les femmes aux hommes, je n'ai pas encore trouvé ce que l'on offrait à quelqu'un qui soit plus qu'une amie mais pas une épouse. Du même sexe que moi, de surcroît. L'amour, c'est bien compliqué...

Après un dernier baiser, Kelly remonte se coucher tandis que je décide de me passer un coup d'eau fraîche sur le visage pour me remettre les idées en place. Au moment de me relever pour aller la rejoindre, mon regard croise la vitre de ma fenêtre et ce que je vois à travers me glace d'effroi aussi je fais un bond en arrière. L'homme se tient beaucoup plus près de ma maison. Cette fois, je suis certaine qu'il s'agit d'une personne. Les effet d'optique ne peuvent pas se déplacer sur vingt mètres. Et il est grand et plutôt musclé, ça ne peut pas être une femme. Mon cœur devient fou dans ma poitrine et mon cerveau fait clignote le visage de Max dans ma tête. Max, Max, Max.... J'ai beau me dire qu'il est mort mais mon subconscient ne veut rien entendre. Je me rend compte que je tremble. De peur. Une peur que j'ai subi durant huit longues années. Une peur que je ne veux plus jamais ressentir. Je ne suis plus Lucie Abbot. Aujourd'hui, je m'appelle Eleanore Jenkins. Et la Lana que je suis devenue n'a plus peur de rien. Elle hait les hommes, elle ne les craint pas. C'est en me répétant ce mantra tout en contrôlant ma respiration que je relève des yeux déterminés à affronter cet individu. Mais l'homme a disparu. Je ne pourrais dire si je connait ce rôdeur. Après out, ça peut-être Damien ou Luc... ou pire, Julien. Je ne flanche pas pour autant et me dirige derrière l'escalier pour m'emparer de la batte de base-ball que je cache en cas d'urgence. Ce soir, c'est un cas d'urgence. Si je ne me défends pas, qui sait ce que pourrait faire cet inconnu ? Autant lui en coller une tout de suite. Avec un peu de chance, je ne ferais que l'assommer et j'appellerai les urgences et la police ensuite.

Le plus silencieusement possible, je marche lentement jusqu'à ma porte d'entrée que j'ouvre délicatement. Il n'y a personne sur le perron. Mon cœur tambourine tellement fort que l'individu doit sûrement l'entendre. Je sais que je ne devrais pas me trouver là, à l'affût. J'ai vu assez de films d'horreur en deux ans pour savoir que c'est une très très mauvaise idée. Mais c'est plus fort que moi. Je ne peux pas aller tranquillement me coucher en attendant que ce psychopathe vienne nous tuer, Kelly et moi. Je marche à pas de velours jusqu'au porche, mais aucune trace du rôdeur. Soudain, j'entends un craquement qui me fait sursauter. Il provient de mon atelier situé dans une petite cabane un peu en retrait de la maison. Faisant appel à toute ma témérité, je rentre dans la maison pour enfiler ma doudoune et mes bottes avant de sortir affronter la neige et le froid. Et surtout ce tueur potentiel. Courage, Lana, tu l'attends au tournant et tu l'assommes.

Je me poste discrètement dos à l'un des murs de la cabane tout en surveillant de chaque côtés, au cas où. Le bruit d'un pot de peinture qui tombe me fait de nouveau sursauter. Putain, niveau courage, je peux aller me coucher ! Il est à l'intérieur de mon atelier. Je vais le prendre par surprise. Brandissant ma batte, bien décidé à en finir avec ce truand, j'attends qu'il sorte. Puis, grâce au reflet de la lune sur le sol blanc, je peux voir l'ombre du mec avancer vers la sortie. Il arrive. Mon cœur fait des montagnes russes. Et si je le rate ? Et si je m'assomme ? Non, non, je suis adroite, je vais l'avoir. Il va morfler. Il va devoir ramasser ses dents avec le coup que je m'apprête à lui envoyer dans la tronche. Au moment propice, je me jette à l'eau et la batte fend l'air avant qu'elle ne soit interceptée par une main. Sa main. Merde, il a prévu le coup ! En une seconde à peine, je me retrouve le dos plaqué contre un torse dur. Mais je ne relâche pas. Je lui écrase le pied avec le mien et tente de m'échapper. Mais il est très fort, aussi il me fait un croche-pied et je me retrouve sur le dos, tête dans la neige... le psychopathe juste au-dessus de moi. 

Ses yeux bleus limpides transpercent le noir de la nuit. Il est magnifique, putain. Son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien. Il est essoufflé. Moi aussi, je crois. Les coups assourdissant de mon cœur dans ma poitrine me font mal à la tête. Nous restons un moment ainsi, sans bouger, encore en proie au choc. Une multitude de questions me taraudent l'esprit, défilant à vitesse grand V. Qui est-il ? En tout cas, ce n'est ni le fantôme de Max, ni l'un de ses larbins de l'époque. Que me veut-il ? Pourquoi ne parle-t-il pas ? Pourquoi il reste là sans bouger alors qu'il pourrait me tuer ? C'est quoi la chose dure que je sens contre ma cuisse ? Pourquoi je ressens cette sensation étrange et agréable dans mon bas-ventre ? Il faut que j'agisse, je sais pertinemment qu'il faut que je me libère et que je m'enferme dans ma maison pour appeler la police. Seulement j'en suis tout bonnement incapable. Et pas seulement parce que cet homme sur moi est plus fort que moi... Mon cœur redouble d'allure quand sa main vient effleurer la peau de mon visage. Je ne sens plus le froid de la glace dans mon dos. Maintenant, j'ai l'impression d'être dans un bain de feu. C'est étrange comme les sensations peuvent être multiples et simultanées. Tu sais que tu dois te barrer, mais bizarrement, tu te sens bien là où tu es alors que tu risque sûrement ta vie. Je dois être folle à lier. 

La main de l'homme s'arrête dans mon cou, là où mon pouls bat le plus fort. Puis dans un souffle à peine audible, il murmure de sa voix rauque et virile.

- Une femme.

Il n'a pas prononcé cette phrase d'une façon simple et anodine. Non. On aurait dit qu'il venait de découvrir un trésor juste sous ses yeux. Un trésor, le St Graal ou la huitième merveille du monde. En tout cas, quelques chose de merveilleux et d'idyllique. Et ses yeux bleus topaze me le confirment par leur brillance incroyable. Puis tout à coup, sans que je ne puisse le repousser, ses lèvres charnues viennent se plaquer contre les miennes. Il ne m'embrasse pas, cependant. Sa bouche se colle juste sur la mienne, comme si c'était la première fois qu'il rencontrait une femme depuis longtemps. Très longtemps...

Je ne sais pas combien de temps notre baiser dure. J'ai perdu toute notion du temps à l'instant où je l'ai senti contre mon corps. Mais l'homme finit par l'interrompre pour me regarder une dernière fois de ses yeux pétillants avant de se relever et de s'en aller en courant pour se fondre dans la nuit noire, me laissant allongée dans la neige, brûlante de désir et à bout de souffle.

Juste une nuitWhere stories live. Discover now