Chapitre II - Partie 2 : La concrétisation

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Ce « je viens », ces deux mots, le propulsèrent en quelques temps dans un monde bien différent du sien : un monde de ferraille, de technologies, de logiciels, d'intelligence artificielle, d'inconnus, de génies, de savants, de sauveurs ; le monde d'Andreï. Son frère tint à ce qu'il visitât le vaisseau deux fois ; plus aurait pu éveiller des soupçons, on n'était jamais assez prudent.

Le monstre de métal occupait toute la grange et semblait vouloir en pousser les murs pour obtenir une plus grande place. Son intérieur était assez froid, dans les tons noirs, gris et blancs, qui parfois se ponctuaient de rouge, de violet ou de bleu. Le grand brun le laissa découvrir les dortoirs et les douches, les cuisines et les salons. Il lui montra la salle des machines, lui expliqua brièvement ce qu'il fallait faire en cas d'urgence, mais lui précisa qu'il lui noterait tout, lui fit visiter la cabine de pilotage, puis le mena dans la pièce où ils avaient commencé leurs recherches. Enfin, il le conduisit à la salle des armes. « Toutes ces portes seront fermées à clé lors du décollage. Je compte sur toi pour que personne n'y ait accès sans autorisation. » précisa-t-il. A la vue des machines de guerre, Ben eut un frisson. L'ingénieur avait vraiment envisagé toutes les éventualités, y compris celle qu'il pourrait se trouver une forme de vie hostile sur Speia, ou peut-être même que les Humains pussent entrer en conflit les uns contre les autres, violemment. Il se contenta de hocher la tête. Après quoi il le guida jusqu'à une dernière salle. Une bonne centaine de boîtes, plus ou moins terminées, s'alignaient sur plusieurs rangées. Il s'agissait des cocons de cryogénisation, ces cercueils qui les accueilleraient temporairement pour le voyage.

Le reste du temps, Andreï lui communiquait un tas d'informations sur les créateurs du vaisseau, leur travail, lui disait s'ils embarquaient ou non, et dans ce cas, à qui il laissait leur place. Il lui présentait leurs photos d'identité.

- Et les autres ? Vous êtes que dix à l'origine de ce projet, mais tous ceux qui travaillent à l'assemblage des pièces, ou... autres trucs. Qu'est-ce qu'il va leur arriver ?

- On fait assembler les pièces ailleurs, puis on les achemine jusqu'ici. Harry et son fils s'occupent de les mettre en place après. De temps en temps, ils se rendent chez d'autres professionnels pour... pour régler des trucs ? Enfin, ils savent ce qu'ils font.

Ben dévisagea son frère. Qu'est-ce qui lui permettait d'affirmer que personne ne divulguerait l'information ? Comment pouvait-il en être aussi certain ?

- Comment... comment vous financez tout ça ? Ça doit coûter un bras !

Le scientifique sourit. Il fouilla dans les papiers posés sur un coin de la table et en tira une photo.

- Paul Widley. Et nous contribuons tous comme nous le pouvons, avec nos propres moyens...

- Widley... comme les entreprises ?

La question était stupide ; bien sûr qu'il s'agissait de cela. Il connaissait cet homme, pour l'avoir déjà vu dans des journaux, à la télévision. On s'amusait à le surnommer « le jeune prodige des hommes d'affaires ». En quelques années, il avait conquis un véritable empire économique et sa fortune croissait tranquillement, engloutissant des milliards de dollars. Donc des gens comme ça s'impliquaient. Il prit alors conscience de l'ampleur et de la véracité du projet. Il perdait de son caractère utopique et égalitaire, parce que ce type obtenait sa place grâce à son argent, mais... c'était vrai, c'était réel.

- C'est un truc de malade, Andreï. Un truc de malade.

Son frère sourit. Oui, c'était un truc de malade.

Et les mois, les semaines, les journées s'enchaînèrent ainsi, Ben perché sur ce rêve si tangible, l'image de la menaçante responsabilité déjà bien loin de son esprit. Il ne se passait plus un jour sans qu'il pensât à Odra, plus une nuit sans qu'il rêvât de l'avenir sur Speia. C'était mieux que de songer à la guerre.

NeseïrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant