Chapitre 1 Partie 13

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⚠ Ce chapitre aborde des thèmes susceptibles d’affecter la sensibilité de certains lecteurs : violence, harcèlement, discrimination, tentative de suicide, violence sexuelle, mort explicite, manipulation.
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L'odeur du vieux titille mes narines quand je franchis les portes du bâtiment principal. Chaque pas résonne comme une claque dans ma tête. Les souvenirs débordent, violents, incontrôlables. Ici, j'avais ri. Ici, j'avais écrasé. Ici, je m'étais senti tout-puissant. Intouchable. Invincible. Les autres n'étaient rien : des insectes sous ma semelle, des cailloux gênants dans ma chaussure. Leur simple existence justifiait que je les piétine.

Aujourd'hui, chaque mur me renvoie l'écho de mes fautes. Je les revois, effondrés sur le sol, brisés. Ils ouvrent la bouche. Aucun son. Je gravis les marches. Des petits chuchotements m'y retrouvent. Leurs voix. Faibles. Puissantes.

« Arrête... »

« J'ai mal... »

« Je t'en supplie... »

Tout est plongé dans le noir. La lumière filtre à travers la porte du toit, restée entrouverte. Mes oreilles bourdonnent. Des éclats de voix. Des casiers qui claquent. Des regards qui me transpercent, me jugent, m'accusent. Leurs gémissements s'amplifient à mesure que je me rapproche d'elle, m'implorant de la sauver. C'était la moindre des choses si je voulais être enfin en paix.

Je franchis le seuil. Le froid mord mes joues. J'abandonne derrière moi leurs murmures et me détache de mon ombre.

— NE FAIS PAS ÇA !

Ma voix se brise contre le ciel gris. Elle ne bouge pas. Figée, le regard aspiré par le vide. Elle n'entend rien. Ou refuse.

— JEUNE FILLE, TU M'ÉCOUTES ?! CE N'EST PAS LA SOLUTION !

Le vent souffle plus fort, étouffant mes mots. Je réduis la distance entre nous et distingue plus nettement sa silhouette. Elle frissonne. Un pas en avant. Un autre. Elle monte sur la rambarde. Ses doigts agrippent le métal glacé.

Non...

Pas encore.

Le sol se meut. Les hallucinations déforment le monde. Mes membres sont paralysés, comme si des chaînes — ou le poids de la culpabilité — me retenaient sur place. Plusieurs bouches se dessinent dans le ciel, et autour de nous. La mienne. Celle de mes amis. Rabaissant en boucle les autres. Désagrégeant leurs espoirs et motivations. Avec des mots toujours plus tranchants.

« Crève. »

« Disparais. »

« Meurs. »

Un reniflement déchire le silence. Ses épaules tressautent. Un sanglot sourd se libère de ses lèvres. Est-elle capable de les entendre aussi ?

« Tu ne sers à rien. »

« Ratée. »

« Tu ne mérites pas de vivre. »

— C'EST FAUX ! TU MÉRITES DE VIVRE ! TU N'ES PAS LE PROBLÈME !

— TAIS-TOI ! TU ES COMME EUX !

Ses mots me font l'effet d'un coup de poignard. Je ne peux la contredire. Un jour, ma bouche a prononcé ces mots. Des mots qui ont ravagé. Des paroles qui l'ont conduite ici. Elle se penche vers l'avant. Ses doigts se décollent lentement du bout de fer. Ma tête me lance. Un gout de bile envahit ma bouche.

— NON !

Mon corps répond de nouveau. Dans un élan désespéré, je me précipite vers elle. J'attrape sa main, mes doigts s'accrochent aux siens avec toute la force que je possède.

ScriptumWhere stories live. Discover now