Chapitre 18 : Le dernier magicien de Fortmage

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En entrant dans ses appartements, Adam constata aussitôt l'absence de Tantine.

— Où est-elle ? demanda-t-il.

Malgré la pénombre, il savait le visiteur assis dans le fauteuil ; il pouvait deviner sa respiration et ses pupilles dans l'obscurité, juste là où Tantine s'était trouvée plus tôt. La bougie se consumait près du lit ; à côté, le panier ramené des cuisines reposait à son chevet. Sur le bureau, la thériaque macérait dans sa bassine mais ses émanations s'étaient évaporées ; la fadeur du gruau refroidi se laissait deviner outre l'odeur des draps propres. La voix dit : « Adam, j'ai à te parler. » En son absence, on avait aéré la chambre, vidé son pot de chambre et ramassé ses linges épars et souillés. Son souffle s'accéléra. « Adam... ? » insista la voix. Ces intrusions routinière, privilège de roi, lui devinrent soudain révoltantes : tous le savaient faible, tous accomplissaient les tâches ingrates pour lui ; tous avaient raison de le haïr et ceux-là même pénétraient au plus fort de son intimité. Il hoqueta, portant la main à sa poitrine. « Adam ?! » Il claudiqua jusqu'au lit, saisit le panier et allât à la fenêtre. On économisait l'eau potable et le vin mais les draps du roi fleuraient la lavande. Pourquoi pas l'aconit ou la ciguë ? Il n'aurait pas fallu bannir Rolland, Eimond, Adeline ! mais le château tout entier !

Soulevant la tenture, il tira du panier le bol de gruau qu'il vida par la fenêtre.

— Adam !

Adam se retourna. Il avait les traits crispés et écumait :

— Alors ça y est ! tu daignes enfin venir. Je t'ai attendu longtemps Jolimar.

Il marcha vers le bureau, attrapa une coupe et se servit en thériaque qu'il avala d'un trait, serrant les dents. Du plat de la main, il s'essuya la bouche. Il avait les gestes vifs et imprécis ; du liquide échappé de ses lèvres poissa son menton, un filet de bave coulait sous sa joue. Il nettoya avec sa chemise. Elle le révulsait, l'étouffait et il l'arracha et la jeta par terre.

— Il est temps que tu m'expliques, Jolimar, s'énerva-t-il en brassant les bras. Pourquoi disparais-tu plusieurs fois l'an, et fuis avec vivres et objets de ma bibliothèque ?! Est-ce de cela que tu viens t'amender ?

Le vieux magicien se leva. Il gardait ses mains l'une contre l'autre, posées sur son ventre. C'était une technique qu'il affectait pour tempérer ses manies de se ronger les ongles ou s'arracher les peaux. Il portait, par-dessus son vêtement, une cape de voyage usée et avait enfilé des bottes. Il s'approcha d'Adam, posa une main sur son épaule mais ce dernier le repoussa :

— Alors tu repars. Voilà qui explique ce pourquoi tu daignes te donner la peine de me venir voir. Allons Jolimar, quel service attends-tu de moi ? Sois bref, j'ai eu mon lot ce jour d'hui.

Jolimar inspira :

— Tu sais que j'avais décidé de ne plus former d'élève.

— Je le savais ! coupa Adam (il marchait en cercles). Je savais que ce jour viendrait. Va-t'en, je ne veux pas en savoir plus ! Je te l'interdis !

— J'étais ton premier partisan quand tu as décidé que Fortmage... ne devait plus être Fortmage, quand bien même tous ne partageaient pas cette opinion.

— Tu es inconséquent Jolimar. Je te vois venir. Ne cesseras-tu jamais de chasser ton... « Elu. » Marlo, Ædrian, ces leçons ne t'ont jamais suffi. Tu as vu comment ton propre maître s'est égaré, mais de ses enseignements, tu n'as reproduit que ses erreurs.

— Aujourd'hui, Fortmage est menacé par la ruine...

— Chateaubourg, coupa Adam.

— J'ai réfléchi, Adam. Si je dois œuvrer une dernière fois, j'aimerais former ce garçon.

Dragon [EN COURS D'ÉCRITURE]Where stories live. Discover now