Chapitre 4 : Camp ennemi

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Mentor, Flopin et Saraa allèrent de villages en villages, pour accomplir des missions et obtenir des récompenses. C'était juste que la méthodologie avait changé : le repérage n'était plus fait par Flopin mais par Saraa. Flopin avait maintenant un rôle un peu plus actif, un peu plus guerrier : il épaulait Mentor dans ses attaques, en seconde ligne, et devait lui aussi décocher des flèches. Force était de constater qu'à trois, ils étaient plus efficaces, et ils commençaient à gagner beaucoup de kamas, mais Flopin ressentait une gêne, émotionnellement : il avait décidé d'accompagner son grand-père pour devenir un meilleur Crâ, un Crâ plus compétent, pas pour gagner de l'argent. Un soir, au coin du feu, il fit part de ses inquiétudes à Mentor.

- Ce argent sera utilisé pour obtenir de meilleurs équipements, de meilleurs armes, de meilleures potions...Un Crâ sans rien est un Crâ inefficace. Il n'aura que son esprit comme arme. C'est beaucoup mais souvent pas assez. Il doit donc faire en sorte de pouvoir faire face à tout type d'éventualités. Il vaut mieux prévenir que guérir. Par ailleurs, l'argent, c'est aussi le pouvoir : il faut parfois payer des gens, parler à des personnes peu recommandables, pour obtenir les bonnes infos. Le monde est ainsi fait.

- Je comprends, dit Flopin.

La compagnie d'Evaa était un peu compliquée pour Flopin. Déjà, c'était une fille, et à part sa sœur et sa mère, il n'en n'avait jamais côtoyé. Il avait l'impression qu'il devait faire un peu plus attention que d'habitude. Par exemple, quand il avait une envie pressante, il n'allait plus juste derrière le premier arbre qui croisait sa route, il allait un peu plus loin. Et puis, il essayait de manger plus proprement. C'était déjà le cas, mais les os de bouftou, par exemple, il ne les laissaient plus par terre, il les jetaient au feu, maintenant. Cela faisait rire Saraa.

- T'es tellement coincé !, lui disait-elle.

Flopin ne lui faisait pas confiance. Souvent, elle profitait des missions pour voler des trucs aux victimes. Et puis, elle n'hésitait pas à mentir, à raconter de fausses histoires. Elle essayait même de le corrompre parfois.

- Prends cette broche à cheveux !, lui disait-elle, elle t'irait bien !

Mais Flopin refusait catégoriquement. Il s'efforçait de suivre un code moral strict, et ne pas voler les gens, faisait parti de ce code. Flopin avait bien essayé de se plaindre à Mentor du comportement de Saraa mais ce dernier n'en avait que faire : d'ailleurs, il ne calculait même pas la présence de Saraa, comme si c'était un fantôme. Il ne lui donnait de l'attention que pendant les missions, pour lui donner des ordres. Flopin ne sut pas trop si c'était un tout mais il commençait à vraiment être sur les nerfs et à s'impatienter.

- Cela fait des semaines que nous accomplissons des missions et gagnons des kamas, dit-il un jour à Mentor alors qu'ils descendaient une vallée. Mais je n'ai toujours appris aucune technique de combat. Quand allait-vous me prodiguer vos enseignements ?

- Tu es bien impatient jeune Crâ, dit Mentor. Un héritage de ton père, surement.

Touché. Cela complexait Flopin d'avoir un Iop comme père. Il l'aimait et l'admirait même, il était d'une force incroyable, il possédait une puissance phénoménale. Du point de vue combat, il n'y avait rien à redire. Mais...c'était un Iop. Bien souvent, il faisait preuve d'idiotie, de maladresse. Tous les jours même. Donc quand Flopin avait des questions auxquelles il voulait obtenir réponses, c'est systématiquement vers sa mère qu'il se tournait.  Flopin s'en voulait de penser ça de son père, il se sentait mal, c'est pourquoi il n'en parla jamais à personne, même pas à sa soeur Elely. 

Un soir, le trio d'aventuriers fut confronté à un camp de cirques. Des créatures, des personnes étaient enfermés dans des cages. Mentor les libèrent presque avec nonchalance, comme si accomplir cette mission lui faisait trop dépenser d'énergie à son goût (en même temps, c'était visiblement une mission bénévole, il n' y aurait aucune récompense à la clé). L'un des libérés était un drôle de type, un Sacrieur au tempérament enjoué, pas beaucoup plus vieux que Flopin.

- Tu m'as libéré mon gars, dit-il à Flopin. T'es mon gars sûr. Je vais rester avec vous !

- Je suis ton gars quoi ?, demanda Flopin.

- T'es mon reuf boucle d'or !, répondit le Sacrieur. T'es le sang !

Etonnamment, Mentor ne fut pas difficile à convaincre. Il ne posa que trois questions au Sacrieur.

- Quels sont tes compétences ?

- Me faire des amis !, répondit le Sacrieur. Mettre les gens dans ma poche !

- Comptes-tu, à un moment ou à un autre, te mettre en travers en travers de mon chemin ?

- Jamais !, répondit le Sacrieur. Ca se voit t'es un chaud !

Mentor resta impassible.

- Très bien, dit Mentor. Dernière question : quel est ton nom ?

- Chérubof, répondit le Sacrieur. Mais mes groupies m'appelle Chéri héhé !

-...Flopin, tu t'en occupe...

Flopin ne comprenait plus très bien. Comment quelqu'un d'aussi solitaire que son grand-père acceptait d'être accompagné d'autant de mondes, des gamins de surcroit ? Flopin comprenait que Mentor utilisait les gens comme des outils, mais il pouvait le faire occasionnellement, dans le cadre d'une mission, il n'était pas obligé de se laisser accompagné par eux.

"C'est peut-être pour voir comment je m'adapte au sein d'une équipe. Ou peut-être qu'il a peur qu'on soit que tous les deux. Il veut vraiment pas me parler."

Un jour donc, alors qu'ils étaient en train de gravir une montagne, Flopin fit de nouveau part de ses inquiétudes à Mentor. Ce dernier soupira.

- Tu as le chic pour mal choisir ton moment...

Une fois au sommet, alors que Saraa et Chérubof s'écroulèrent de fatigue, Mentor accepta enfin de lui répondre.

- Je n'ai pas toujours été un Crâ solitaire, répondit Mentor. C'est le métier d'assassin qui m'a amené à cela. Etre un bon Crâ, ce n'est pas juste un être un excellent archer, un tacticien hors-pair. Il y'a aussi une manière d'être, un savoir vivre. Je sais que tu m'as suivi dans mes aventures pour que je fasse de toi un combattant, et c'est ce que je vais faire, mais tu as passé trop de temps à côté de ton Iop de père, il t'a enseigné n'importe quoi, t'as donné de mauvaises habitudes...

- Ne parlez pas en mal de mon père !, s'indigna Flopin.

- C'est un fait. Ta mère, qui a grandit avec les Sadidas, ne sait même pas elle-même ce que c'est vraiment d'être un Crâ.

Flopin resta silencieux quelques secondes. Puis haussa les sourcils.

- En quoi être accompagné d'une Sram et d'un Sacrieur va m'aider à être un bon Crâ ?

- C'est en se confrontant aux autres qu'on découvre ce qu'on a vraiment dans le ventre. Un Crâ doit représenter l'élégance et l'intelligence. Côtoie sciemment des bourrins et des idiots, et travaille pour te démarquer d'eux. Moins tu seras comme eux, plus tu seras un bon Crâ.

- Je dois donc faire le contraire de ce qu'ils font ?

- Réfléchis tout de même quand tu entreprends une action mais...oui, tu as compris l'idée.

A partir de là, Flopin pris la présence de Saraa au sein du groupe différent. Il ne la voyait plus comme une personne irritante et immorale qui voulait le pousser à la criminalité, mais comme une personne irritante et immorale qui allait l'aider à progresser. Quand elle lui parlait avec impolitesse, ce qui était le cas la plupart du temps, il répondait le plus poliment possible, et n'hésitait pas à utiliser des mots soutenus pour bien l'énerver. Quand elle rotait, pétait et laissait sa bouffe entamée au sol, lui, faisait davantage preuve d'élégance et de tenue, et nettoyait même après les autres, pour bien montrer que c'était lui la personne responsable dans les environs. 

- T'es vraiment qu'un péteux !, lui disait-elle.

- Ouais boucle d'or, renchérit Chérubof, pète un coup !

Flopin souriait.

"Non, je ne suis pas un péteux. Je suis un Crâ, et je le suis de plus en plus."


Flopin l'incorruptibleWhere stories live. Discover now