Le Bal

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Sous la caresse de l'aube, aux premiers rayons aveuglants des jours d'automne, Nora s'éveilla confuse. Elle ne savait plus ce qui était et ce qu'elle s'imaginait. Habitée par ces voix d'un autre monde, sans le souvenir d'avoir regagné son lit, les images de la veille lui revinrent peu à peu. Jeanne, Pierre, l'infirmerie. Elle s'habilla juste assez pour ne pas être nue, ne prit pas la peine de se chausser et fila tout droit au chevet de son amie qu'elle ne trouva pas. La petite fille se rua alors vers le réfectoire, inquiète. Elle s'avança à la table d'Arthur et tandis qu'elle allait s'asseoir, le jeune homme l'arrêta.

— La place est prise.

— Arthur c'est Jeanne, elle a disparu ! Et Pierre...

— Baisse d'un ton et va t'asseoir ailleurs. On ne veut pas de toi et de tes histoires ici.

— Mais...

— Va-t-en il t'a dit, ajouta un autre garçon.

— Qu'est-ce qui vous prend ? Si Annabelle était là-

— Mais elle n'est pas là, si ? Ta Jeanne, je l'ai croisée ce matin et le p'tit Pierre ? Il est assis là-bas avec d'autres piqués à se demander si la nappe se mange avant ou après le bol. Il est cuit, rincé, parce qu'il a voulu t'aider. Tu portes la poisse, Nora, alors fiche nous la paix, avant qu'ils nous emmènent nous aussi.

— Poisseuse !

— Dégage la poisseuse !

— Je suis pas une poisseuse, hurla Nora.

Le silence fut unanime dans le grand hall. Un mélange de peur et de respect. Droite et intransigeante, la petite fille balaya la salle du regard. Sur l'une des tables longeant le mur, celles des adultes, l'assistante de Mlle Cannelier buvait son thé, discrète, comme pour se faire oublier. Nora s'avança jusqu'à elle, planta son regard dans le sien et figea ses doigts sur les dossiers des chaises des deux hommes qui faisaient face à sa cible.

— Qu'avez-vous fait d'Annabelle ?

— Annabelle... non ça ne me dit rien, c'est une amie à toi ?

— Ne me prenez pas pour une idiote ! Je sais pour la piqûre, je sais que vous emmenez les enfants qui vous dérangent.

— Vous délirez complètement jeune fille, mais supposons un instant que nous nous débarrassions en effet des petites pestes dans ton genre. Ne serait-ce pas là une raison bien trouvée de retourner t'asseoir avec les autres nuisibles ?

— Je ne suis pas folle... Je vous ai vue hier avec le jardinier !

— Bernard ? Vous me voyez vraiment passer du temps avec cet attardé ? Cela devient insultant. Retournez vous asseoir avant que je ne perde patience.

— Je ne bougerai pas tant que vous ne m'aurez pas dit où est mon amie.

Sous les pieds de l'enfant, les écailles glissaient lentement. Table après table, les pensionnaires se muèrent en statues de chair et la brise perdit sa prise sur les effluves de cafés et de beurre. Les mains suspendues à une tasse et sa soucoupe, L'assistante ne contrôlait plus rien d'autre que son visage stupéfait et, avant que Nora ne puisse répéter sa question, elle se mit à hurler de terreur. Notre rêveuse lâcha alors prise sur les chaises et le temps, incapable d'expliquer la réaction de la femme qui ne s'arrêtait plus de crier, le visage étiré de peur et les yeux incapables de se fermer. D'un coup sec, elle renversa la table sur la petite fille et s'élança couteau en avant.

— Crève, démon !

— Lâchez-moi ! Vous me faites mal.

— Retourne dans ton monde, il n'y a pas de place pour toi ici !

Le Gardien des RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant