Menteur

2 1 0
                                    


Vingt minutes à peine s'étaient écoulées depuis le réveil de l'enfant quand on vint la trouver. Nora avait eu le temps de dissimuler le petit livre rouge sous son pull, mais ne s'était pas encore remise de sa nuit. Quand on entra dans la pièce, l'attention se porta d'abord sur Léon. La petite fille, de son côté du rideau, ne pouvait voir qu'une paire de talons aiguille, mais elle n'eut aucun mal à comprendre qu'il était question d'une toilette protocolaire. Que ce soit par la violence des chocs ou la rapidité des manœuvres, Nora en était certaine : ce n'était pas l'infirmière qui opérait.

Le rideau s'ouvrit.

— Ah, vous êtes éveillée, tant mieux. Dépêchez-vous d'aller faire votre toilette, si vous voulez avoir le temps de petit déjeuner.

D'une beauté aussi froide que l'étaient ses mots, l'assistante de la veille n'accorda pas une autre seconde à sa patiente. Elle était très grande, presque trop pensa l'enfant. Perchée sur ses escarpins, elle déambulait avec une grâce terrifiante. Obnubilée par la tenue impeccable de la dame, ses cheveux plaqués, son chignon adroitement centré, ses ongles vernis et son regard détaché, Nora ne savait pas si elle devait l'admirer ou la craindre.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Filez avant que je ne perde patience.

De la crainte, c'était définitivement de la crainte qu'elle inspirait. En fait, Nora le comprit sur le trajet qui séparait l'infirmerie de sa chambre, ce n'était pas la jeune femme en elle-même qui lui faisait peur, mais ce qu'elle incarnait. Cette droiture, cette insolente élégance, cette stature, c'était tout ce qu'on attendait d'elle, tout ce que Mme Preunelle et les autres avaient essayé, en vain, de lui inculquer. La dame était, sans conteste, le modèle que l'enfant voulait fuir.

Dans les couloirs interminables du Manoir, la petite fille croisa tout un tas de blouses blanches et de tailleurs qui allaient et venaient entre les portes, se saluaient et discutaient sans le moindre égard pour elle. Quand elle atteignit enfin le grand hall, les autres enfants dévalaient les marches qui les séparaient du repas le plus important de la journée.

— Tout de même, vous voilà ! Rejoignez le rang que l'on puisse commencer l'appel.

Devant l'arche imposante qui accueillait la porte de la salle de réception, tout le monde s'était déjà trouvé un camarade de rang et, pour ne rien arranger à l'anxiété de Nora, la voix de l'intendante l'avait placée au centre de l'attention.

— Allez, nous n'avons pas toute la journée.

Aux pieds des escaliers, car ils arrivaient toujours en derniers, Arthur, Annabelle et les autres firent signe à l'enfant. L'appel commença et en deux temps trois mouvements, tout le monde était installé.

Assise à la même table que la veille, Nora pouvait sentir le regard impatient de ses voisins la dévisager.

— Alors ? Fit Annabelle.

— Alors quoi ? Répondit Nora.

— Léon, l'infirmerie, raconte-nous.

— Il n'y a pas grand chose à raconter...

— Sans rire, il n'y a que moi qui veuille entendre ce qu'elle a vu ?

— Je vous avais dit qu'elle n'y arriverait pas, on perd notre temps, dit un garçon.

— Peut-être qu'elle a eu la piqûre, dit un autre.

— Laissez-là, ordonna Arthur. Tous, autant que nous sommes, nous souvenons de notre première fois à l'infirmerie et, pour autant que je sache, personne ne voulait en parler.

Annabelle changea vite d'expression et posa une main tendre sur le bras de Nora.

— Je te demande pardon.

Le Gardien des RêvesWhere stories live. Discover now