Eden Island

Première nuit au paradis

Au dessous de lui, Loki sentait son lit se balancer. Croyant d'abord que ce fut un rêve pénible, il repositionna l'oreiller une bonne centaine de fois.

Au fur et à mesure qu'il reprenait conscience, il réalisa... ce n'était pas un rêve, il était en mer et telle était la cause de ce balancement incessant.

À travers la seule petite fenêtre en vitre que possédait son compartiment, il pouvait entrevoir un ciel noir dépourvu d'astres.

Au beau milieu d'avril, un temps comme celui-ci était normal. Se levant de son lit, mal à l'aise, Loki avait une irrépressible envie de vider son estomac.

Dans la petite salle de bain, décorée avec un goût que Loki trouvait trop sophistiqué, il alla se relâcher.

Il détestait voyager en mer, pourtant il se trouvait là sur ce bateau, assis près de la toilette en porcelaine, à rendre tout ce qu'il avait pu digérer.

De sa cabine, Loki entendait Dany crier sur le pont :

Cap sur l'île... Droit devant... Nous sommes dans les parages...

Loki fit l'effort de se relever, grimaçant de douleur, il se laissa retomber lourdement sur le parterre.

Il avait vivement besoin d'une tisane, et s'en trouvait malade de ce que le thé ne soit pas servi à bord.

Au moins, ils arrivaient à destination, il demanderait à ce qu'on lui fasse un thé une fois à terre.

📖📖📖📖

Contrairement à la prédiction de Dany le navire lâcha l'ancre aux environs de vingt heures.

Dans cette nuit noire, Eden island, ressemblait à un village de sorcier où les arbres prenaient part à la vie et cherchaient à agripper tout sur leur passage.

Dans la voiture, personne ne prêtait attention à ce spectacle diabolique, quand bien même ils s'y seront intéressés, tout ce qu'ils verraient auraient été l'obscurité, car à part la lumière blanche que diffusait les phares de la voiture, tout n'était que ténèbre.

La voiture s'arrêta sur une route coupée par un tas d'arbres, pendant que deux hommes vinrent leur ouvrir la portière.

- Nous allons séjourner ici dans la forêt ? demanda Jacob à l'un des hommes qui muni d'une lampe de poche éclairait le sol pour que Rosa puisse descendre.

- Nous allons nous charger de vous escorter jusqu'à la villa monsieur le reste de la route est encore inaccessible en voiture.

Dès que ses pieds avaient touché terre, Loki s'était senti nettement mieux, ses petits yeux perçants, étant habitués au noir, il scrutait les lieux, ils étaient dans une forêt.

Une fois qu'ils descendirent tous, l'un des hommes se mit à l'avant tandis que l'autre referma la troupe.

- Où est-ce qu'il va lui ? demanda Loki qui s'était retourné en entendant le ronflement du moteur.

- Le parking se trouve à quelques mètres, il y va pour garer la voiture, en plus nos maisons se trouvent là bas.

D'un signe de la tête, l'homme pointa l'est de l'île. Loki, interressé, tourna la tête vers la direction que lui montrait le gardien.

- Vos maisons ? Mais combien êtes-vous ?

- Nous sommes dix, moi je suis Santore, le mec là devant c'est Alec et le chauffeur qui vous a amené s'appelle Lou, monsieur Valder nous a fait construire cinq maisons où nous sommes logés deux par deux.

-  Vous n'êtes que dix sur l'île ?

- Nous sommes dix à nous occuper de l'environnement extérieur, les autres servent à la villa et n'en sortent jamais.

- Mais pourquoi ne peuvent t-ils pas sortir ?

Loki sentait la gêne de Santore face à cette question, impossible de ne pas remarquer que cela cachait sans doute quelque chose de secret.

- Est-ce que c'est Frédérick qui les empêche de sortir ?

- Ah pour ça non monsieur...

- Je déteste l'obscurité !
Rosa pleine de rage venait de se tordre la cheville, en percutant une roche avec ses escarpins. Heureusement que Mcgareth l'avait solidement retenue, sinon ç'aurait été plus grave.

- Ça va ? Tu peux continuer ? demanda Mcgareth inquiet

Catherine détourna les yeux... loin dans le néant... l'obscurité... envieuse de toute cette attention qu'il lui portait. Une attention dont Rosa n'avait que faire.

- Ça va je peux continuer... merci

- Mais pourquoi diable n'y a t'il pas de lumière sur cette île Santore ? demanda Loki qui venait d'assister à la scène.

- L'île est bien alimentée, nous avons des générateurs électriques, seulement, des lampadaires dans une forêt c'est inhabituel ne trouvez-vous pas ?

- Vous avez sans doute raison... Mais vous n'avez pas encore répondu à ma première question...

Ils venaient de pénétrer dans une allée lumineuse où la végétation était bannie, seuls quelques palmiers plantés en désordre faisaient partie du décor désert.

Encore quelques pas, et la grande villa tantôt diminuée par les kilomètres, apparaissait devant eux, lumineuse et somptueuse.

La vache ! s'exclama Jacob

À l'exception de Santore et d'Alec, ils étaient tous en admiration, même Rosa semblait se perdre dans la majesté architecturale de la demeure de Frédérick.

- Ici s'achève notre mission. Messieurs ! Mesdames ! Bonne soirée !

D'une brève salutation, les deux hommes délaissèrent les invités, et s'éloignèrent dans l'obscurité laissant un Loki curieux, mais tant pis il finirait par lui arracher la vérité de la bouche.

Devant la porte, quatre hommes les attendaient, le corps droit. À chacun, un hôte spécial, gravé sur un morceau de bois bien fait qu'ils tenaient ferme sur leur poitrine.

- Oh regarde chéri, il y a nos noms gravés sur celui-ci !

- Mr et Mme Mcgareth, fit l'homme en se détachant des quatre autres, je suis Lino, votre... serviteur.

Serviteur ? Un mot qui laissa Loki perplexe. On n'était plus au dix-neuvième siècle, pourquoi Frédérick avait t-il des serviteurs ?

Il ne fallait pas s'empresser à tirer de conclusions hâtives, Loki le savait bien. Mais personne au vingt-et-unième siècle ne se qualifiait de serviteur, plus encore la crispation de Santore lui revenait à l'esprit...

Suivant le mouvement de leur camarade, les trois autres se détachèrent l'un après l'autre, portant bagage et accompagnant leur hôte à leur chambre respective.

Loki s'étonnait que ce ne soit pas Frédérick qui vint les accueillir, mais les autres semblaient insouciants face à un tel détail tant ils étaient absorbés par le décor intérieur.

Le grand hall, lui faisait penser à un gigantesque échiquier en raison du sol vynile et des statues qui y étaient posées.

Les yeux fatigués, Loki monta la pile d'escalier dorée en spirale, non sans avoir un tournis.

Derrière lui, venaient aussi les autres, aussi exténués que lui qui ne s'étaient pas attardés devant cette scène imposante.

Sur sa porte, une plaque argentée était fixée, où on pouvait y lire :
" Age quod agis ", à laquelle tout ensomeillé il n'y prêta guère attention.

Dans sa tête, une seule question trottait : Frédérick se livrait t-il au trafic humain ? Si oui... Y entraînait t-il son fils dans ses magouilles ?

* Age quod agis = ( Expression latine qui signifie " fais bien ce que tu fais" )