CHAPITRE 8

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— Les résidents sont priés de suspendre toute activité et de se rassembler dans le réfectoire pour une réunion exceptionnelle. Merci de nous rejoindre au plus vite. A tout de suite.

Sel reconnut la voix claire de la directrice de l'IREPP dans l'annonce qui retentit soudainement dans la grange. Les chercheurs se dépêchèrent de sortir et Sel suivit le mouvement en s'intégrant à la file en direction du cloître où se trouvait le réfectoire.

Le clocher n'avait pas encore sonné les sept coups annonçant l'heure du dîner et avec elle la fin de l'exercice qui s'était prolongé tout l'après-midi sans que Sel ne soit davantage mise à contribution, à son grand soulagement. Elle s'était contentée de prendre des notes dans son coin, en essayant de dissimuler sous un air appliqué et concerné l'effarement que lui procurait l'idée d'être en mesure d'utiliser le pouvoir primordial du Vent. Et pourquoi pas la Terre et l'Eau tant qu'elle y était ? Y avait-il une limite à cette théorie insensée que Tallulah et ses élèves s'étaient acharnés à illustrer devant ses yeux ? Où était la supercherie ?

Plongée dans ses pensées, elle ne prêtait pas attention aux autres résidents qui venaient progressivement grossir les rangs du groupe jusqu'aux portes du bâtiment. Alors que Sel s'apprêtait à en franchir le palier, elle fut surprise à sa droite par la masse sombre arrivant droit sur elle. Elle trébucha contre l'épaisse marche en pierre marquant le seuil du cloître et aurait perdu l'équilibre si cette même masse ne l'avait pas rattrapée brutalement et remise sur pied. Légèrement vacillante, Sel mit quelques secondes à reconnaitre le visage d'Orens dans l'obscurité grandissante de cette fin d'après-midi de fond de vallée.

Elle fut prise d'un profond sentiment de gratitude pour le cirque montagneux autour d'eux grâce auquel la nuit était déjà tombée sur le hameau. A la vue d'Orens elle avait senti ses joues s'empourprer comme saisies à feu vif sur une poêle bien chaude. Elle n'avait pas anticipé de si promptes retrouvailles avec le jeune homme suite à l'incident de l'après-midi, ayant plus ou moins inconsciemment planifié de l'éviter soigneusement pendant les jours à venir, voire pour toujours. Sans avoir une idée précise de ce qu'il s'était passé entre eux, elle avait parfaitement conscience de l'avoir approché de beaucoup, beaucoup trop près.

— C'est quoi ton problème ? tempêta-t-il en la poussant vers l'avant dans le flot du courant des chercheurs qui se pressaient sous le toit vouté de la galerie Nord. Qu'est-ce qui t'a pris de me foncer dessus comme ça ?

Sel aurait voulu relever le caractère ironique de la question étant donné que la manche de sa veste était toujours agrippée par le point serré du jeune homme qui s'était jeté sur elle quelques secondes auparavant mais son embarras l'en dissuada.

— Je n'ai pas fait exprès, souffla-t-elle en pressant le pas pour s'aligner sur les enjambées rapides d'Orens et marcher à son niveau de sorte à ne plus avoir l'air de se faire trainer de force dans la galerie et de dissiper les regards perplexes qui se multipliaient autour d'eux.

— Comment ça, pas fait exprès ? Tu n'as pas fait exprès de te concentrer sur moi et de pénétrer mon esprit ? Tu te fiches de moi en plus ?

Ils étaient tous deux plantés au milieu du couloir et les autres chercheurs butaient sur eux avant de les contourner en leur lançant des regards mécontents. Cela ne semblait pas troubler Orens qui ne leur accordait pas une once d'attention mais Sel se sentait de plus en plus oppressée et étouffée entre l'agressivité d'Orens, fût-elle légitime, et la bousculade continue. Si elle lui devait des explications elle les lui donnerait, mais pas sous la pression ni dans ce brouhaha. Abandonnant définitivement le flux de la course au réfectoire, elle attrapa à son tour le jeune homme par le poignet pour l'entrainer sous l'arcade la plus proche et sortir de la galerie à l'air libre, dans le jardin intérieur où l'elle l'avait plus tôt si vivement contrarié.

SEL - La Cité NouvelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant