SEL - La Cité Nouvelle

CHAPITRE 4

— C'était encore une belle visite ! Avec de belles personnes. Tu as vu comme ils étaient adorables le frère et la sœur qui jouaient dans la fontaine ? J'aimerais avoir un jour des enfants ! Des jumeaux, un garçon et une fille, ce serait parfait... Enfin pas tout de suite bien sûr, je suis une acolyte trop occupée pour penser à cela !

          L'acolyte Euphémie ponctua son dernier monologue de la matinée d'un rire cristallin un peu nerveux qui rendit Sel pensive. Depuis sa dernière conversation avec Doyenne Sophia, elle s'était surprise à penser au monde en dehors de la Tour. Elle était fortement attachée à l'Insula et habituée à son rythme, aux énergumènes qui en étaient les disciples et, surtout, elle en connaissait parfaitement le fonctionnement, les codes, les règles officielles et permissions tacites, les comportements et attitudes préconisés, ce qui y était bien ou mal vu... Mais en dehors de ce microcosme, elle était fort ignorante.

          Entrainée bon gré mal gré par Icare elle s'était bien promenée quelquefois à travers champs jusqu'au début des collines entourant la Cité mais elle ne s'était jamais aventurée assez loin pour voir le hameau de vieilles pierres qui accueillait ce que, à l'instar de ses condisciples Feu, elle avait toujours appelé « le repaire des psychiques » et qu'elle se forçait dorénavant à rebaptiser mentalement « l'Institut de Recherche Expérimentale en Pouvoir Primordial ».

          Elle eut un sourire moqueur pour elle-même en se voyant considérer le fait d'aller jusqu'au hameau comme une aventure. Elle était clouée à l'Insula depuis tant d'années qu'elle se souvenait à peine qu'un monde existait au-delà des collines. Seuls ses quelques menus contacts avec les visiteurs des Expositions et les lettres de ses parents lui rappelaient de temps à autres que la vie continuait sur l'Autre Continent. Elle n'était jamais retournée à Roquecourbe depuis qu'elle avait quitté sa contrée de naissance, peu après l'incendie qui lui avait valu un aller-simple pour la Cité Nouvelle.

          Ses parents et son petit frère venaient parfois la visiter quelques jours lors des Expositions mais elle n'émettait jamais le souhait de quitter la Tour pour les suivre et, de leur côté, ils n'insistaient pas. Tant de temps était maintenant passé qu'elle avait du mal, en leur présence, à se figurer qu'elle faisait vraiment partie de cette famille. Elle les avait quittés si jeune que, à bien des égards, la Cité Nouvelle était devenue son véritable foyer. La Cité, Doyenne Sophia et Icare. Voilà tout ce qui importait vraiment.

          Une épingle invisible lui piqua le milieu de la poitrine à la pensée d'Icare. Elle aurait aimé pouvoir lui raconter les événements des derniers jours. Lui parler l'apaisait toujours et il aurait surement plus d'explications à lui fournir sur ces théories d'apprentissage dont elle découvrait tout juste l'existence. Avec ses fonctions importantes auprès de la Tour Vent, il connaissait probablement très bien le travail de l'IREPP.

— Novice Sélène, tu viens avec moi !

          Au-dessus des arènes, l'adepte Verana traversait l'Insula au pas de course et fit signe à Sel de se presser d'en faire de même. Elle salua Euphémie et remonta les gradins aussi vite que possible pour emboîter le pas à l'adepte du Feu.

— C'est la foire en bas. Il y a dû avoir un problème de planning. Les acolytes Eau n'étaient pas là pour nous relayer sur scène et un visiteur a profité du temps mort pour dresser un véritable réquisitoire contre la Cité... Tu savais qu'on vivait en dictature, toi ? Et que les cités jumelles étaient nos esclaves ? Bref, quand on a essayé de l'arrêter il nous a accusés de censure et d'autres visiteurs se sont mis à prendre sa défense et ils se sont mis à balancer des slogans... « Vive la liberté ! Vive les cités autonomes ! » Y a même une gémellaire qui distribue des tracts ! Je suis partie en vitesse chercher Doyenne Sophia mais elle n'est pas à son office. Tant pis, on va se débrouiller sans elle...