La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 32 : Les lettres zohaliats

Au matin, Orlyë n'était nulle part en vue. Feynor non plus d'ailleurs. Le petit déjeuner d'Elune n'en fut pas moins morose malgré les tentatives de Kahen pour lui remonter le moral. A présent qu'il avait retrouvé la flutiste, l'oiseau ne la lâchait pas d'une semelle et pépiait en continu. Après s'être préparée, Elune se décida à sortir pour commencer à apprendre l'Ancien Langage. A peine dehors, son dictionnaire à la main, elle aperçut un Eylien devant le pont qu'elle avait construit. Elle s'approcha.

— C'est vous qui construisez ça ? demanda-t-il les yeux tournés vers l'entremêlement de cordes.

Elune acquiesça.

— Bah vous devriez faire gaffe avec ces trucs-là. Je sais que les jeunes s'amusent avec mais moi j'ai failli me le prendre. Surtout que c'est passablement inutile votre truc, ajouta-t-il en lissant les plumes de ses ailes. Enfin ! Je ne suis pas venu pour ça.

Il farfouilla dans l'énorme sac qu'il portait et en sortit deux lettres roulées. L'une d'elle était frappée d'un sceau en croissant de lune, la marque de la famille royale zohaliat. L'autre était beaucoup plus petite et simplement maintenue enroulée par un ruban vert pomme.

— Tenez. La première est pour le Maître du Temps et l'autre pour une certaine Elune.

Il leva pour la première fois la tête vers son interlocutrice et fronça les sourcils.

— Attendez. Vous êtes la folle qui avait détruit l'Île bleue et attaqué Ylkad, non ?

Elune pâlit. Le postier cracha à ses pieds puis lui jeta les deux lettres à la tête. Il remonta sa manche et exposa son avant-bras. Dans sa chair, un arbre avait été tatoué. Non, pas n'importe quel arbre. C'était l'Arbre. Celui qui symbolisait l'union des trois peuples. L'Eylien cracha une deuxième fois.

— Vous avez de la chance que notre chef interdise que l'on s'en prenne à vous avant la fin de cette lune. Nous sommes les Gardiens de l'Equilibre. Magliens ou pas, Maître du Temps ou pas, vous payerez pour la souffrance que vous nous infligez. Gardez les yeux fermés. Continuez de nous ignorer et vous verrez. Lorsque la justice s'abattra sur vous, ce ne sera pas un tribunal Maglien qui vous jugera. Ce sera le peuple que vous avez abandonné.

Sur ces mots, il déploya ses ailes et décolla. Elune tomba à genou dans l'herbe sèche. Des larmes dévalèrent ses joues. Kahen vint se blottir contre son cou. Elle aurait voulu lui expliquer qu'elle se démenait pour les aider, mais les mots étaient restés coincés en travers de sa gorge. Impuissante et incapable de contrôler son propre don, était-elle condamnée à voir les Eyliens se déchirer et s'attaquer à celui qui était censé être le garant de leur survie ?

Une boule de douleur se forma au creux de son ventre et remonta jusqu'à son cœur. Elune sentit son don courir le long de ses bras et l'électriser. Un cri de rage et de désespoir lui échappa. Un éclair déchira le ciel toujours aussi bleu et s'abattit sur l'arbre de l'îlot juste en face. Le bois s'enflamma aussitôt. Le feuillage s'embrasa et partit en fumée. Torche de feu dans le ciel azur, le tronc de l'arbre se rompit sous la morsure des flammes voraces. Dans un craquement épouvantable celui qui avait protégé Elune de la chaleur pendant tant de lunes bascula dans le vide. L'herbe qui poussait autour se transforma en un parterre de flammèches. Quand le feu s'éteignit, il ne restait plus qu'une île de roche et de terre brûlée recouverte d'un tapis de suie noirâtre. Là où auparavant se tenait l'arbre, il ne restait plus qu'une souche noircie et hérissée de pointes en bois brûlé encore dressées vers le ciel.

Elune ravala ses larmes. Elle ne devait pas laisser ses émotions la dominer. Alors elle les enfouit au mieux au fond d'elle jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'un poids sur son cœur. Son regard tomba sur les deux lettres tombées à terre. La Maglienne ramassa celle qui lui était destiné et en retira le ruban.