Chapitre 3 : Laissez entrer le roi !

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On débarque dans un second hall de petite taille qui pue la tristesse. Parce que oui, les émotions ont leur propre odeur, qu'on apprend à déchiffrer quand on est un loup-garou.

Un adolescent agenouillé au sol récure le carrelage avec une éponge, à l'endroit où il semble s'être passé un drame. Par chance, le loup brun que traîne toujours l'Exécuteur a assez cicatrisé pour ne plus déverser son sang partout.

Le gamin âgé d'à peine douze ans n'ose pas lever les yeux sur nous, ses gestes mécaniques et lents trahissent un découragement profond.

Au fond de la grande pièce, une fillette nettoie les vitres, debout sur une chaise.

— L'exploitation de gosses est légale ici ? demandé-je, mi-railleuse mi sérieux.

— Tu te rendras rapidement compte que la frontière entre l'égalité et l'illégalité est plutôt floue à Sainte Terreur. Ces patients, annonce-t-il en insistant sur le nom, sont punis. C'est la raison pour laquelle ils travaillent à cette heure-ci et ne pioncent pas.

La petite fixe dehors avec désespoir, bientôt interrompu par un gardien qui lui ordonne d'accélérer, parce que je cite : il n'a pas que ça foutre. Il me vient l'idée de bouffer ce mec.

— N'y pense même pas. Si tu attaques un gardien, tu seras fouettée, et ce n'est pas des tâches ménagères qu'on te filera.

Je gronde, encouragée par ma louve.

— Arrête de me mater comme si tu désirais me tuer, reprend l'Amérindien sans même ralentir.

— Figure-toi que c'est le cas. Ces pauvres gens ne méritent pas de tels traitements.

— Je n'y suis pour rien, pigé, Crimson ? J'aimerais bien, mais ce n'est pas moi qui commande.

Une femme dans la trentaine porte un mont de linges, vêtue d'une combinaison grise qui semble être la tenue officielle des « patients » de Sainte Terreur.

— Combien de loups-garous sont internés ici ?

— Ne cherche pas à le savoir, le nombre n'est jamais fixe d'un jour à l'autre.

Il prononce cette phrase avec tellement de désinvolture. Je me tourne une dernière fois afin de regarder les enfants plongés dans une semi-conscience, sans me rendre compte que l'Exécuteur s'est arrêté. Je lui fonce dedans, et c'est aussi agréable que de me prendre un mur.

Des élancements parcourent mon ventre, réveillant ma blessure et la douleur. Je tique, appuie plus fort le tee-shirt sur la plaie, inspire profondément... D'un geste brusque, le jeune homme m'arrache le morceau de tissu des mains.

— Je me demande bien ce que tu as pu faire pour être envoyée dans le pire centre de redressement d'Amérique, gronde-t-il en déchirant son vêtement taché.

S'il espère grappiller des infos, il se fourre le doigt dans l'œil. Je recule d'un pas quand il passe les bras autour de moi, surprise par la vitesse de ses mouvements. Avant que je puisse me dégager, il a attaché le tee-shirt autour de ma taille pour que je n'ai pas besoin de le maintenir avec les mains. J'aurais pu y songer toute seule si je n'étais pas aussi tendue.

— Peu importe, rétorqué-je en réponse à sa question. De toute manière, je partirai bientôt.

— C'est ce qu'ils croient tous à leur arriver. On ne quitte jamais Sainte Terreur.

Je soutiens son regard plein de défis.

— Si tu pense que je vais croupir dans cette prison, tu te goures. Je vaux mieux que ça.

La malédiction du dieu-loupWhere stories live. Discover now