Chapitre 1 : bienvenue à Sainte Terreur

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Le fourgon crapahute sur une route accidentée depuis deux heures, j'ai l'impression de me trouver dans un shaker à cocktail. Mon fessier rebondit sur le banc en acier et mon crâne cogne contre la paroi métallique. Ma louve déteste autant ce traitement que moi. Je la devine en train de rôder à la frontière de ma conscience, prête à déchiqueter n'importe qui. Je glisse un regard agacé au chauffeur derrière la large vitre qui nous sépare. Il a de la chance, celui-là.

Mais je ne vais pas cracher dans la soupe, parce que j'ai choisi d'être là. Enfin, disons qu'entre ça et épouser un alpha arrogant, ma décision était rapidement prise.

— Tu crois que Sainte Terreur est comme on le décrit ?

Je porte mon attention sur le type enchaîné en face de moi. Des menottes en argent cinglent ses poignets, et un anneau autour de son cou relié à la paroi du fourgon le maintient immobile. C'est le sort qu'on réserve aux loups-garous qui ne savent pas se contrôler. Pauvre gars. À vue de nez, il doit avoir quinze ou seize ans. Au moins, mon paternel a attendu ma majorité avant de m'expédier en Enfer.

— Je suis certaine que non.

Il grimace, tente de lever la main pour dégager ses cheveux bruns de son visage, et renonce quand les chaînes trop courtes cliquettent.

— Je pense que si. Suffit de voir comment on nous traite, alors qu'on n'est même pas encore arrivé au centre.

Un point pour lui.

— Tu es là pour quoi, toi ? continue-t-il d'une voix dépitée.

— J'ai refusé un mariage arrangé.

Ça, c'est la version officielle, qui n'est qu'un demi-mensonge, après tout. En vérité, mon père m'envoie ici pour trouver un artefact surnaturel qui lui permettrait d'invoquer et de contrôler un dieu loup. Oh, et si j'échoue, je me retrouverais avec la bague au doigt.

— Ça craint, répond mon interlocuteur. Mes vieux ne sont pas aussi conservateurs. Dans notre meute, il n'y a plus d'union de convenance.

— Mais tu es quand même là, noté-je sans le brusquer.

— J'ai dit qu'ils n'étaient pas conservateurs, je n'ai pas prétendu qu'ils étaient cool.

Il se mure de nouveau dans le silence, et moi aussi.

Derrière les fenêtres des portières, la forêt prend une allure sinistre en même temps que la nuit tombe. Les branches des arbres tordus s'entremêlent sur le côté de la route, on dirait des doigts crochus. Le brouillard se lève, les ombres mouvantes également. Je suis en train de me demander si le dieu loup contrôle le large territoire qui s'étend autour du centre de Sainte Terreur. Si c'est le cas, est-ce qu'il observe le véhicule branlant en attendant de l'attaquer ? Où est-ce qu'il se moque des pauvres âmes en peine à l'intérieur ? Ça pense comment, une divinité lycanthrope ? En supposant, bien entendu, qu'il existe.

— Sainte Terreur de merde ! grogne le garçon enchaîné.

— Amen, ricané-je.

— On raconte que le territoire est hanté.

— C'est peut-être vrai.

L'autre me décoche un sourire aussi sinistre que les alentours.

— Tu crois aux fantômes ?

— Les loups-garous existent, pourquoi pas les esprits ?

Il hausse les épaules, puis tourne la tête vers le conducteur qu'on aperçoit à peine derrière l'immense siège.

La malédiction du dieu-loupWhere stories live. Discover now