24. Le Sage Rouge

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Katya désigna une petite porte métallique en indiquant la maison du Sage rouge. Cela aurait pu être normal, mais cela ne l'était pas. Car la porte tenait seule au milieu de... rien. Pas de mur autour, pas de jardin, juste une porte au bout de la rue principale du village. Un brouillard humide entourait la porte et plongeait cette partie du village dans une brume épaisse. Maelle se retourna : les villageois continuaient leur vie sous le soleil de cette belle journée, le marchand d'épices conversait avec ses clients, le capitaine de la garde les observait de loin avec un regard féroce, les trois lunes disparaissaient de temps à autres derrière la course de rares nuages. Maelle n'en revenait pas : le seul brouillard existant était autour de cette porte.

Elle fronça les sourcils en contemplant les arabesques dorées décorant la porte de métal gris de nombreuses fleurs et faunes inconnus. Au milieu de la porte était gravé un œil fermé, tenant lieu de soleil au sommet d'un décor de montagne en relief. C'était certainement la porte la plus travaillée et étrange que Maelle ait pu voir. Elle tendit d'instinct sa main vers l'œil pour en toucher les contours.

- Hey, s'écria une voix nasillarde. On ne t'a jamais dit de ne pas mettre le doigt dans l'œil des autres !

L'œil s'ouvrit aussitôt, faisant reculer d'instinct la jeune fille.

- Je suis sensible de la rétine !

La pupille dorée se mit à balayer les visiteurs de droite à gauche.

- Oh, bonjour Katya ! Salut Dean. Je vous attendais.

C'était l'œil qui parlait ?

- Tu dois être Maelle ? Enchantée, mon nom est Boby !

- Euh, enchantée également... Maelle se contenta de hocher la tête.

Un œil forgé dans une porte lui parlait. Un œil ? Elle était où sa bouche ? Comment pouvait-il parler ?

- Ben, ne fais pas cette tête ! se moqua Dean. On dirait que tu n'as jamais vu de porte magique.

- Entrez les enfants, mais il va falloir chercher car je ne sais pas où se trouve Marhu. Il fait du rangement depuis hier soir et c'est le bazar là-dedans, précisa la porte avant de s'ouvrir sur un couloir sombre.

Katya et Dean entrèrent, Maelle les suivit avec hésitation sous le regard de l'œil. La porte se referma derrière eux et disparut aussitôt dans le brouillard. Des murs gris bordés de longues d'étagères encombrées de fioles et de livres apparurent aussitôt des deux côtés du long couloir étroit. Un parfum de verveine, de rose et de bois de santal planait autour des visiteurs.

Maelle observa sans oser bouger de minuscules poissons bleus évoluer verticalement dans une bouteille aussi longue que fine, se transformer en lumière diaphane en atteignant le bouchon et redescendre sous forme de poissons avant de recommencer leur lent ballet. Des rouleaux de parchemins s'entassaient pêle-mêle dans un fouillis à la limite de l'équilibre tandis que d'autres volaient au-dessus de leur tête.

- C'est quoi ? demanda Maelle en les désignant.

- Des feuilles volantes. Il y en a dans toutes les pièces, pour prendre des notes. Notre Sage a toujours besoin d'en avoir sous la main.

Maelle hocha la tête. Elle aussi avait des feuilles volantes dans son sac de cours, sauf qu'elles ne « volaient » pas de manière aussi littérale (ce qui était bien dommage).

- Mais où est notre sage ? s'impatienta Dean en montrant les nombreuses portes du couloir.

- On va le chercher, il est sûrement avec son assistant, précisa Katya à l'égard de Maelle. Je prends les portes de gauche, Maelle celles de droite, Dean tu vas voir à l'étage.

- Et comment on se prévient quand on l'aura trouvé? dit Maelle.

- Marhu s'en chargera, t'en fais pas.

Katya poussa une première porte et Dean fonça dans l'escalier à leur gauche.

De son côté, Maelle ouvrit une la première porte avec précaution. Elle tomba sur une cuisine avec une énorme cheminée noire de suie, chauffant un chaudron rond. De petites bulles s'échappaient parfois du couvercle et Maelle comprit d'où venait le parfum de verveine qui emplissait la maison. Elle se demanda toutefois s'il s'agissait d'une potion ou d'une soupe. Personne n'était en vue à part un balai qui balayait tout seul et un plumeau qui faisait la poussière sur un chandelier, aussi referma-t-elle la porte. Elle longea les étagères, non sans observer avec curiosité les petites fioles alignées et leurs étiquettes manuscrites aux titres incongrus tels que « don de crevauil », « saut de puce », « vision d'horreur », ainsi que leur contenu inquiétant : une salamandre séchée dans une mixture violette, des papillons multicolores prisonniers d'une cage de cuivre et dont ils ne s'échappaient pas malgré les larges espaces entre les barreaux ; un bateau naviguant dans une bouteille de vin et qui remontait ses voiles en raison d'une tempêtes qui se formait à l'intérieur même de la bouteille.

Maelle ouvrit une seconde porte de bois foncé et se retrouva dans une pièce gigantesque digne d'un château. Les plafonds haut de plusieurs mètres étaient couverts de livres ancien et des lattes de parquet miel apparaissaient entre les piles éparses de livres à même le sol, ou étalées en cercles sur d'épais tapis. Au milieu de la pièce assombrie par d'épais rideaux dissimulant à demi des vitraux colorés, une jambe dépassait d'une banquette de velours.

Maelle s'approcha avec discrétion et se pencha par-dessus le dossier du canapé. La tête posée sur un oreiller de fortune fait de livres et d'une couverture fine, un petit garçon dormait à poing fermé. Le visage poupon caché sous ses cheveux d'un blond orangés, Maelle ne pouvait distinguer qu'un petit nez couvert de tache de rousseurs et des lèvres roses qui semblaient marmonner des paroles inaudibles dans un demi-sommeil.

Un peu gênée, Maelle poussa l'épaule de l'enfant de l'index pour le réveiller en douceur. C'était peut-être un autre élève du sage ou son assistant, bien que cette dernière hypothèse soit étonnante compte-tenu du jeune âge de l'enfant. Peut-être six ou sept ans ?

- Heum, bonjour, osa-t-elle.

Aussitôt, le dormeur se redressa et planta son visage à un demi-centimètre de Maelle qui manqua de tomber sous la surprise. Il ouvrit ses grand yeux marron tachetés de petites pointes dorées.

- Qui ose... s'écria l'enfant avant de sauter du canapé, les cheveux en bataille.

Il s'arrêta en scrutant Maelle, cligna des yeux et se rapprocha encore jusqu'à ce que ses chaussures touchent le bout de celles de l'intruse.

- Tu sens le shalala, toi ! dit-il en faisant aussitôt volte-face.

Il se mit à quatre pattes et commença à fouiller le sol tout en jetant des livres à travers la pièce. Ceux-ci restèrent en lévitation sans retomber.

- Où sont mes lunettes, râla-t-il.

- Heum, hésita Maelle, elles sont sur votre tête.

Le petit garçon posa une main dans ses cheveux et rabattit aussitôt ses lunettes sur son nez. Elles étaient un peu trop grandes pour lui et agrandissaient ses yeux en lui donnant un air de chouette. Le garçon les ajusta sur son petit nez et pencha la tête sur le côté en observant Maelle.

- Ah, tu es bien là ! Je savais que Lyne ferait le bon choix. Bienvenue dans ce monde, il lui tendit la main. Mon nom est Marhu. Je suis le Sage Rouge et, de fait, ton nouveau mentor.

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J'espère que vous passez un bon moment !

Rdv pour la suite !

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