Chapitre 6

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Les yeux de Nilaja étaient incapables de se détacher des iris noisettes de son paternel. Ce dernier possédait un regard perçant et savait se faire comprendre sans piper mots.

Elle serra les dents et les poings. Son cœur menaçait d'éclater dans sa poitrine. Quelle idiote ! Elle avait mit sa meilleure amie en danger. S'entraîner encore et encore pour sortir sa famille de l'exil imposé l'Impératrice, voilà ce qu'elle aurait dû faire.

Nilaja jeta un coup d'œil vers la rivière là où résidaient encore des bulles. La vie fragile de Noyaa dansait sur un fil avec la mort.

— Ne t'inquiètes pas pour ton amie, je l'ai pétrifiée, révéla son père.

Un frisson lécha son dos. C'était presque comme s'il avait mit son doigt sur son échine ; un rappel pour lui signifier que Nilaja Abioyé appartenait à Bamidele Abioyé. L'un des membres de la société secrète Boogni, un ancien politicien influent et un mage prodigieux.

Elle avala sa salive. Personne ne pourrait l'égaler, à part sa propre fille si tel était son désir. La fierté de pouvoir produire un miracle de sa main était piétinée par Nilaja en dépit des efforts effectués. Elle le suivit du regard lorsqu'il leva le sien vers le ciel ; faussement admiratif de sa teinte céruléenne. Elle décelait même l'ennui enfoui en dessous de ses yeux.

Nilaja réalisa qu'elle avait cessé de respirer et que ses lèvres s'étaient gercées. Elle y passa la langue. Ce fut précisément à ce moment-là qu'elle se sentit tirée par le col de sa tunique ; un gémissement plaintif sortit de sa bouche. C'était comme si une main était en train de l'étrangler. Nilaja suffoqua. En une minute, son père avait déjà décidé de sa punition.

Ses jambes tremblaient misérablement, battaient l'air en étant en rythme avec les battements effrénés de son cœur. La sueur embrassait ses aisselles, son torse et son front tandis que ses dents claquaient indéfiniment. Son nez coulait et Nilaja sentait arriver les larmes.

Elle aurait tellement voulu que tout cela ne soit un cauchemar ; ou pouvoir se transformer en une petite souris. Au lieu de cela, elle était emprisonnée entre les doigts de son père prête à être écrasée comme un vulgaire insecte. Nilaja ferma les yeux pour échapper à cette humiliation et à l'angoisse de connaître l'issue de tout ça. Si seulement, elle avait pu lui ressembler...

La foule grondait comme le tonnerre.

— Si tu avais suivi ton objectif, il n'y aurait pas eu vent de tout cela, déclara son géniteur. Tu fais honte à tes ancêtres ma pauvre fille, à notre clan et à ta famille. Comment l'avorton que tu es aies eu l'honneur immense de devenir l'Oshuan, je l'ignore encore. Mais quoiqu'il m'en coûte, je ne te permettrai plus de souiller davantage cet héritage.

Nilaja retint les larmes aux bords de ses yeux et pinça les lèvres. Un profond sentiment de lassitude la toucha soudainement et elle regretta les instants joyeux avec son père. Ils lui paraissaient si loin maintenant. Avait-elle inventé ce portrait de son paternel où ce dernier lui souriait à pleine dent alors qu'il s'amusait à la taquiner avec des blagues douteuses ?

Elle se revoyait encore avec lui lorsqu'elle apprenait encore à jouer des instruments complexes tels que le tambour parlant. Il y a encore peu sa réelle motivation était de retrouver le sourire de son père, ce qui lui était très cher à son cœur.

Or, plus le temps passait et plus Nilaja avait l'impression de suivre les directives d'un étranger. D'un chef. D'être la consécration d'une œuvre d'art. D'être une marionnette. D'être tout sauf la fille de son paternel. Elle avala sa salive et se rendit compte de ses lèvres gercées.

Nilaja lévita vers son père grâce au pouvoir de ce dernier, l'âme en peine. Ils se scrutèrent chacun comme s'ils ne se voyaient jamais à la maison, comme s'ils n'avaient jamais partagé des moments insouciants et heureux, et à ce moment précis, le lien familial se brisa.

Ils surent simultanément qu'il ne se réparera pas.

Le silence dura des décennies et la foule s'était tût. Les seules bavardes de cet instant presque solennel furent le bruissement des feuilles. Puis, un miroir gigantesque flotta et Nilaja entra dans sa prison ; jetée comme l'on jetterait du bétail.

Elle se cogna la tête contre une surface dure face à un ciel ténébreux. Bientôt, le sol disparut de ses pieds et elle tomba sans s'arrêter sur un champ de violettes où demeurait une jeune femme s'admirant dans un miroir.

Près d'elle, demeurait une rivière scintillante à l'extrémité d'une cascade. Une barque en bois menaçait de s'écrouler en mille morceaux face à l'eau destructrice. La lune brillait. Nilaja fut éblouie par la beauté du lieu et ne put s'empêcher de tourner autour d'elle-même. Ses joues furent caresser par les mains douces de la brise fraîche de la nuit. Elle frissonna.

Pendant de très longues heures, sa vie lui échappait des doigts. Ses souvenirs s'envolaient et emportaient sa soeur, sa cousine, Noyaa... Noyaa !

Sa léthargie prît fin et sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi, elle jeta un coup d'œil vers la jeune femme assise contre le mur avec son miroir. Elle n'était plus là. Nilaja la chercha dans les recoins, regarda autour d'elle, poussée par une étrange adrénaline avant de réaliser.

Elle ne se trouvait plus sous une mer de violettes mais sur la barque en bois avec le miroir dans les mains en plein milieu de la rivière. Ses vêtements avaient été échangés contre la tenue de la jeune femme. Un frisson la traversa alors qu'un mauvais pressentiment l'agrippa.

L'élue de la déesse devint livide. Les yeux de Nilaja se posèrent lentement sur la glace du miroir lorsqu'ils s'écarquillèrent. L'image reflétait Noyaa dans un piteux état ; des morceaux de chair jonchaient le sol, du sang coulait sur un coin de sa lèvre et recouvrait même son torse, ses pupilles si joyeuses à l'habituelle avaient perdu toute forme de vie même si une faible lueur persistait. Son front luisait de sueur.

Ils affrontaient ceux de son agresseur, qui s'était agenouillé et tenait une bonne partie de ses cheveux entre ses doigts. Noyaa gémit de douleur et réussit malgré tout à fusiller du regard celui qui lui avait fait ça.


Son père. L'homme en qui elle faisait confiance faisait du mal à sa meilleure amie. Sa deuxième famille.

Le miroir se brisa et lui fit quelques entailles au poignet. Cependant la douleur n'atténua pas l'explosion de rage en elle. Son cœur pulsait dans sa poitrine, ses veines ressortaient de ses mains et de ses bras. Nilaja serra ses dents jusqu'à avoir un goût de métal dans la bouche. Il n'était pas question qu'elle acceptait ça. Son père paierait de ses actes.

La fille des SauveursWhere stories live. Discover now