Chapitre 2

3 0 0
                                    




Sortie de l'eau après avoir bu la tasse, Nilaja essayait de trouver un sens à cette situation. Les cris de tout un chacun ainsi que les bousculades qu'elle se prenait ne l'aidait en rien. Garder son sang froid en toute circonstance. C'était la première chose qu'on lui avait enseigné.

Nilaja leva la tête.

De cette distance, il lui était impossible de distinguer les traits des individus. Elle se mordit la langue. Comment avaient-ils acquis cette technologie ? Qui étaient-ils et qu'est ce qu'ils souhaitaient ? Et surtout, comment connaissaient-ils cet endroit ?

Son cœur rata un battement. De multiples légendes couraient depuis quelques années. La plus terrible de toutes disait que le meneur des pirates du ciel n'était ni plus ni moins que le petit fils de Yemoja.

L'on disait qu'il avait volé une grande partie des pouvoirs de sa mère et qu'il désirait devenir le dieu des dieux. Son nom avait été oublié. Et si.... Une voix s'écrasa sur Nilaja, coupant court à ses questionnements et ses réflexions.

— Nija! brailla cette dernière.

La jeune femme tourna la tête.

Une grande adolescente se présenta dans cette cacophonie. Ses tresses s'évanouirent sur son dos lorsqu'elle parvint à sa hauteur, elles arboraient des perles mêlées à des coquillages. Sa peau aussi noire que les nuits chatoyantes, où les étoiles scintillantes faisaient battre le cœur de jeunes gens amoureux luisait de gouttes de sueur. Ses yeux bruns se fichèrent dans ceux de Nilaja.

Après qu'elle eut récupéré son souffle, Bolande déclara :

— On doit se réfugier ailleurs. On nous attends déjà !

— Nous devons protéger cet endroit. Ils viennent peut-être pour Ye...

— Ne sois pas idiote, la déesse est sûrement plongée dans les profondeurs, coupa Bolande. La retrouver prendrait sûrement des heures ! Notre priorité est notre sécurité.

— S'ils sont capable de voler avec des bateaux, ils ont sûrement la capacité d'attaquer, rétorqua Nilaja.

— Quand bien même ce serait le cas, tu crois vraiment que Yemoja se laissera faire ?

Ses mains empoignèrent les siennes alors qu'elles aussi, elles couraient pour leurs vies. Une migraine s'insinuait comme un serpent dans la tête de Nilaja. Soudain ses pieds ne se déplacèrent plus, ses mains à jamais captives dans celles de Bolande, cette dernière non plus ne bougeait plus.

Les vagues n'allaient plus errer vers la terre et les nuages se suspendaient. Les vieux et les enfants s'étaient arrêtés de respirer en même temps. Seuls les vaisseaux-pirates perduraient dans le ciel.

Cependant, sa migraine persistait et enflait. Était-ce la même chose pour sa sœur ainsi que tous les autres ? Nilaja serra les dents. Son unique boucle d'oreille à l'effigie du soleil remuait de plus en plus légèrement. Il était donc clair que cette pétrification générale n'était pas naturelle et que le vent résistait — faiblement — contre cet étrange pouvoir.

Qui le détenait ? Et pourquoi ? Son cœur fit un bond lorsqu'elle entrevit une femme. Sa couleur brune était semblable au meilleur bois façonné par un charpentier de talent. La sueur, l'effort et la passion marquaient d'une grande fierté celui qui le construisait. Elle semblait être dans la trentaine.

Nilaja plissa des yeux et fronça les sourcils. Sa sulfureuse robe sombre était ornée par des symboles et ses mains étaient marquées par de nombreux tatouages complexes. La femme était suivie par trois panthères noires. Pourquoi étaient-ils les seuls à pouvoir bouger ? Étaient-ils les auteurs de cette mascarade ridicule ?

Une buée bleutée s'échappa de Nilaja. Ses yeux s'écarquillèrent.

L'Être Bleu.

La vapeur devînt brume et prit la forme d'un brouillard lorsque celui-ci frôla le dos de l'inconnue. L'animal à ses côtés dont la tête s'était retournée observa la scène comme s'il s'agissait de la chose la plus normale. Il sembla même à Nilaja qu'il eut l'air menaçant pendant une fraction de seconde.

Sans qu'elle ne s'y attende, tous ses muscles craquèrent et la jeune femme fut capable de se libérer. La même chose se produisit pour sa sœur. Alors qu'elles s'apprêtaient à fuir enfin, accompagnées des peuples yémojanes et orishanes, une phrase bombarda le dessus de leur tête :

— Nous ne sommes pas là pour vous attaquer, tonna une voix rauque. Enfin, tout dépends de la tournure que prendront les choses.

Des ricanements fusèrent dans le ciel.

Cela eut néanmoins le mérite de faire cesser la panique générale, bien que certains fusillaient encore ces marins du regard et que d'autres tremblaient. Le sang glacé, Nilaja écouta ces individus. Quelqu'un sembla se racler la gorge. Sûrement le capitaine de cet équipage mystique qui voulait se faire entendre de tous.

— Taus, pour vous servir se présenta-il par ailleurs. Menez moi à l'Impératrice et je promets de ne pas vous attaquer.

Nilaja hoqueta. Cet homme était-il sérieux ? Il pensait sincèrement qu'on allait gentiment le mener à une personne — à un être absolument fabuleux — aussi importante sans qu'il y ait des ripostes ?

Et même sans ce que ne soit ça, qui obéirait à un homme venu d'on ne sait où, domptant les airs de manière si vulgaire ? Elle étouffa un rire nerveux. De toute façon, son nom parviendra sans aucun doute jusqu'aux oreilles de l'Impératrice. On ne perturbait aucunement une cérémonie.

Le silence demeurait toujours, quoique percé par des murmures. L'Être bleu déchira cette bulle d'indécisions. Sa voix résonnait en Nilaja jusqu'aux tréfonds de son âme.

— Sans vouloir vous vexez, votre entrée laisse place à la méfiance, proclama-t-il. Seuls les enfants d'Oya, la déesse du vent changeant, peuvent chevaucher ce dernier. Seuls les marchands, les pêcheurs et quelques commerçants peuvent outrepasser cette loi.

Bolande lui donna un coup d'épaule. Elle pointait sans discrétion du doigt, l'intruse aux félins. Celle-ci leva le menton visiblement prête à élever sa voix. Bolande lui donna un coup d'épaule. Elle pointait sans discrétion du doigt, l'intruse aux félins. Celle-ci leva le menton visiblement prête à élever sa voix.

— Yéjídé Adesina. Je suis en quelque sorte les yeux et les oreilles de l'Impératrice, se présenta-t-elle en détournant les yeux de temps à autre. Soyez sûrs que je lui rapporterais votre nom et que vous répondrez de vos actes...

Une ombre tomba du ciel, prête à s'écraser sur le sable froid lorsqu'enfin, elle se posa agilement sur ses pieds dans un bruit sourd.


— Eh bien... je suis curieux de voir ça, rétorqua-t-elle.

L'ombre se révéla être un homme.

Le jeune homme montrait des traits fins. Il arborait des dreadlocks, plutôt courtes et attachées. Son torse était à découvert, victime de cicatrices toutes plus hideuses les unes que les autres. Ses bras en portaient quelques unes. Il portait un pantalon noir. Sans que Nilaja ne sache pourquoi, sa peau lui évoquait la paire d'ailes obscures d'un ange déchu. Peut-être était-elle frappée par sa beauté.

Cependant, une chose la tracassait de plus en plus alors que ses yeux scrutaient Taus : Pourquoi lui semblait-il aussi familier ? Sentiment d'autant plus renforcé, lorsque ses pupilles lumineuses rencontrèrent ceux de cet individu aux yeux ténébreux.

L'échange dura longtemps. Nilaja ne voulait pas baisser les yeux ni les détourner. Elle fronça les sourcils, accentuant encore plus la lueur enflammée de son regard.

Quoiqu'il put être, elle ne s'abaissera jamais.

Même si sa sœur à côté gesticulait de façon plus ou moins discrète pour qu'elle le fasse — tout le monde observait la scène — ; même en sentant le regard de chacun lui brûler le cou, elle ne détournerait pas le sien.

Pourquoi le ferait-elle face à un potentiel ennemi ? Ce dernier coupa court à cette bataille en roulant des yeux et s'avança vers l'Être bleu. Sa démarche était calculée. Aussi gracieuse que les félins ici présents, aussi silencieuse qu'un prédateur avisé. Il rangea ses mains dans les poches de son pantalon et s'arrêta face à Yéjídé.

— Faisons un marché.

La fille des SauveursWhere stories live. Discover now