Chapitre 11

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Théo appuie sur la pédale et nous voilà lancés à travers les arbres qui bordent la ville. Je me penche sur mon siège, les yeux plissés, et fixe les ombres qui dorment au pied des végétaux. Bientôt, de nouveaux cris nous parviennent et je sens mon ami se raidir à mes côtés. Je coule un regard dans sa direction ; son visage blême trahit son épouvante. Je déglutis ; nous signons probablement notre arrêt de mort à ainsi revenir.

Je songe soudain au fait que la famille de Théo est déjà morte, et comprends soudain pourquoi il ne souhaitait pas revenir. Il n'a personne à sauver.

— Merci d'être revenu pour nous, je souffle, émue.

Il hausse les épaules, les dents serrées, avant de ralentir légèrement :

— Regarde, on arrive.

Je reporte mon regard sur le pare-brise. En effet, les arbres s'écartent pour nous laisser entrevoir à travers leurs branches brûlés quelques pâtés de maisons. Aussitôt, mon cœur se serre et j'étouffe un cri d'horreur ; les toits s'effondrent, les poteaux s'entrelacent, s'emmêlent de leurs fils électriques. Les voitures jonchent çà et là, cadavres gémissants et épargnés par le massacre. Aucune trace de vie humaine ; seulement du sang, qui colore les routes, les trottoirs et les murs. Le ciel se voile de fumée âcre. Les belles couleurs pâles de l'horizon sont loin, désormais. Ici ne règne que la mort ; et pire que la mort elle même, de terribles créatures dévoreuses de chair.

Nous serpentons à travers les ruines, vestiges de l'invasion récente. Si récente qu'elle doit se poursuivre à cet instant même.

— Evitons le centre ville, je murmure à Théo, de peur que ma seule voix n'en attire.

Il hoche vivement la tête, n'osant lui aussi prononcer le moindre mot. Ni lui ni moi n'ouvrons nos vitres ; la puanteur ne doit pas être des plus agréables à l'extérieur. De plus, à la moindre attaque de monstres, il est préférable pour nous de tout garder clos.

— Tu connais un magasin où on peut trouver un peu de tout ? me demande Théo à voix basse.

— Essaie Lidl, à quelques rues d'ici, je propose.

Il approuve d'un signe de tête et tourne doucement le volant vers la droite. Il semble savoir où se trouve le commerce. Je fronce soudain les sourcils :

— Arrête la voiture.

Il obéit aussitôt et se dresse sur son siège, les muscles bandés. Je pose une main sur son bras pour le rasseoir lentement et lui souffle :

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'aller au magasin, finalement.

— Pourquoi donc ? s'inquiète-t-il, les sourcils froncés.

Son visage est marqué par l'incompréhension ; ne voit-il pas où je veux en venir ?

— Après l'annonce à la radio, tous les gens vont se précipiter dans les magasins, Théo ! je siffle entre mes dents, les yeux écarquillés. Soit il n'y aura plus rien, soit on se retrouvera à se battre pour avoir une boîte de conserve ! On pourrait se faire voler la voiture ! Pire, le monde qu'il y aura attirera toutes les créatures des alentours !

Il fait glisser sa main sur son visage, désespéré. Que faire, désormais ? Je sais aussi bien que lui que nous n'avons pas le choix de nous y rendre. Mais d'un autre côté, les risques à prendre sont trop grands.

— On fait quoi, alors ? soupire-t-il, exaspéré.

— Allons dans une maison vide, ou détruite, peu importe, et prenons ce que nous pouvons. Ce qu'il reste d'intéressant. On passe de maison en maison, comme ça l'un de nous reste dans la voiture pendant que l'autre va fouiller.

Il opine du chef, son courage retrouvé :

— Si l'un de nous voit des zombies, il hurle le nom de l'autre.

— D'accord.

Revigorée par cette idée, je me redresse sur mon siège et cherche du regard un logement qui me paraîtrait vide.

— Là, regarde là bas.

Je pointe du doigt une habitation à deux étages, dont le toit s'est effondré. L'arbre qui se dressait à son flanc s'est écrasé sur la voiture et a déchiré le portail en deux.

Mon ami réveille notre véhicule et s'avance vers la maison que je désigne. Je plisse les yeux, les sourcils froncés : serait-ce... ?

Je pousse soudain un cri d'horreur et Théodore pile brusquement : là dans la voiture écrasée, couchée devant le portail, trois silhouettes se dessinent. Parmi eux, bien visible, un jeune nourrisson embroché par une branche. Ses parents gisent à l'avant, la colonne vertébrale brisée.

Je réprime un haut-le-coeur et, les yeux écarquillés, bondis hors de la voiture pour dégobiller aux pieds du véhicule. Je suis aux prises de tremblements incontrôlables ; les vertiges me secouent, tandis que je n'arrive même plus à respirer. L'air est coincé dans mes poumons comprimés, qui m'arrachent une grimace de douleur à chaque inspiration. Je suis à bout. Je voudrais sortir de ce cauchemar, que tout ceci ne soit pas réel. Que ce bébé dans cette voiture ne soit qu'une invention de mon esprit.

— Lily, me souffle Théo tout en m'attrapant l'épaule. Allez, il faut se lever. Pour Arkan, Lee, Marius et Iris.

Ses paroles semblent cependant plus s'adresser à lui-même qu'à moi. Ses mains tremblent tout autant que les miennes et, lorsque je relève les yeux dans sa direction, je peux voir que toute couleur, toute vie a quitté son visage. Ne reste que l'éclat des larmes dans ses yeux bruns.

J'acquiesce en silence et me redresse lentement. Je tâche de respirer lentement, de calmer les spasmes qui m'arrachent de terribles nausées.

— Tu restes dans la voiture et j'y vais ? je propose d'une petite voix.

Je ne souhaite pas le moins du monde demeurer dans notre 4x4 à attendre le retour de mon ami, avec pour seule compagnie les cadavres du véhicule voisin.

— D'accord.

Il fait quelques pas vers l'arrière, un regard inquiet posé sur moi. Sûrement masque-t-il son épouvante face à la situation à se demander ainsi si c'est une bonne idée que j'y aille. Il ouvre la portière arrière, attrape mon sac à dos et me le tend. Je reste fixé quelques secondes sur sa main tendue vers moi ; les doutes me prennent à mon tour. Mais je n'ai pas le choix.

Je retire prestement mon manteau, que je lance sur les sièges passagers. J'attrape le sac et souffle un bon coup :

— Allez, j'y vais.

— Utilise la lampe de ton portable comme éclairage, me conseille-t-il.

Je tire l'objet de ma poche ; il est couvert de boue et de sang. Je lâche une grimace :

— Je ne crois pas qu'il s'allume encore...

— Utilise le mien.

Il dégaine son téléphone et le place soigneusement dans ma main :

— Fais attention. Oublie pas notre signal.

— C'est la première maison qui va être la plus difficile, je tente de me rassurer, cherchant d'un regard l'approbation de Théo. On enchaînera le reste plus facilement.

— Oui, approuve-t-il.

Cependant, je vois bien qu'il essaie de se rassurer lui aussi. Aucun de nous deux n'est sûr de ce qu'il va réellement se passer. Je recule de quelques pas, lui fais un léger signe de main et me tourne vers l'habitation.

Je lance mon sac sur mon épaule, enjambe les restes du portail et m'avance vers l'entrée obscure de la maison, qui se dresse là telle une bouche noire et béante à la recherche d'une proie à dévorer. Quelle stupide mouche je fais ; mes poumons se compriment, j'allume la lampe du portable et, prenant mon courage à deux mains, m'avance dans l'embouchure.

Zombee / tome 1 : La Chute /Where stories live. Discover now