Chapitre 8

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Je m'efforce de calmer ma respiration, les yeux écarquillés de terreur. Le calme me semble si menaçant, à présent qu'il s'est installé. Lee, assis à ma gauche, guette par la fenêtre brisée le moindre mouvement dans la quasi pénombre des alentours. Le soleil éclaire un pâle horizon, saupoudré de nuages roses et oranges. Iris surveille le côté droit ; or cette fois-ci, la fenêtre est fermée. C'est rassurant, en quelque sorte.

Lee garde son arme de métal tout près de lui, et sa main est toujours crispée sur l'embout, prête à frapper au moindre mouvement suspect. Il baisse alors les yeux vers ses pieds ; le membre arraché est toujours au sol. Je le sens hésitant : a-t-il peur de le toucher ?

— Jette le par la fenêtre, je lui murmure doucement.

Mais il ne se décide pas :

— Imagine qu'on n'ait rien à manger...

Je suis saisie d'un frisson d'horreur : voilà donc la véritable raison ! Prise de nausée, j'attrape vivement le bras pour l'envoyer valser au vent. Lee me dévisage avec des yeux ronds, mais je secoue négativement le menton :

— Tu es complètement malade. On ne va pas devoir survivre et dormir dehors ! Ce n'est pas une apocalypse... Je suis sûre que non. En plus, ce truc pourrait nous transformer si on le mange, j'ajoute, terrifiée à la simple idée de mettre cette chair nauséabonde dans ma bouche.

Il reporte son regard de guetteur sur l'horizon :

— Tu as probablement raison...

Je retombe sur mon siège et lâche un faible soupir. Je sens alors Arkan se redresser légèrement à mes côtés ; nous sommes serrés au milieu, si crispés que nous n'osons pas bouger pour ne pas déranger l'autre. Je sens presque son souffle lent, silencieux, sur ma joue. Mon épaule appuyée sur sa poitrine ressent chacun de ses battements de cœur, si rapides. Il est terrifié. Comme nous tous.

Devant, Théodore garde les yeux rivés sur la route. C'est à peine s'il cligne des paupières. Je ne lui demande pas comment est-ce qu'il a fait pour trouver une voiture aussi vite. Comment est-ce qu'il sait aussi bien conduire. Je n'en ai pas la force. A ses côtés, recroquevillé sur lui-même, Marius regarde défiler le paysage par sa fenêtre, les yeux rougis de larmes. Peut-être pleure-t-il Roxane, ou bien le simple fait que notre vie a soudainement pris un virage violent. Il a peur que tout change, que les zombies nous dévorent tous. Mais ce n'est pas possible, je me rassure, tremblante. On n'est pas dans un film. L'armée va trouver une solution et tout reviendra comme avant.

Je ferme les yeux et ravale mes larmes. Une voix en moi ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il adviendrait de nous si tout cela est vrai. Si il y a vraiment une apocalypse. Quel serait notre avenir ? Plus d'études. Plus de famille. Plus de vie. Seules des créatures assoiffées de chair humaine. Je me tapis sur mon siège, la poitrine comprimée de sanglots silencieux. Je voudrais que tout ceci ne soit qu'un cauchemar. Je voudrais plus que tout avoir raison. Que ce ne soit que passager.

Arkan passe son bras sur mon épaule et me serre maladroitement contre lui pour me rassurer. Mais que peut-il bien faire ? Que pouvons nous faire face à cette situation ? Nous sommes impuissants. Il le sait aussi bien que moi.

— Où est-ce qu'on va, Théo ? demande soudain Iris, son calme retrouvé.

— On s'éloigne de la ville.

La réaction est générale : nous nous redressons tous sur nos sièges, consternés, et Lee grogne :

— On devait aller chercher nos familles ! C'était le plan !

La voiture se stoppe sèchement, et le jeune homme se tourne vers nous :

— Vous êtes complètement malades ! Je refuse de retourner là bas, alors que des centaines de monstres courent dans les rues !

— Et bien tu descends de la voiture alors, parce que nous on y va, rétorque Marius.

Il se penche sur Théodore, ouvre sa portière et plonge un regard menaçant dans le sien.

— On va chercher nos familles, insiste-t-il. Que ça te plaise ou non.

— On ne va pas les abandonner, ajoute Arkan. Je ne veux pas les abandonner.

Un instant, notre chauffeur hésite. Il finit par lâcher un soupir exaspéré et claque sèchement sa portière pour reprendre le volant :

— Alors allons-y, si vous tenez tellement à vous faire tuer !

En deux en trois mouvements, il opère un demi tour sec avant de repartir.

— Où tu as appris à conduire ? demande Marius pour dissiper l'ambiance lourde de la querelle.

— Je vous l'ai dit, mon grand père est garagiste. Il a insisté pour m'apprendre à conduire dès mes quatorze ans, même si mes parents n'étaient pas d'accord. J'ai passé mon code dès que j'ai eu quinze ans et je fais de la conduite accompagnée depuis, même si je sais déjà très bien conduire.

— Heureusement qu'il t'a appris, finalement, fait Marius tout en frissonnant. On serait probablement morts, autrement.

Ses paroles laissent tomber un lourd silence dans le véhicule. Je me demande quelle erreur sommes nous en train de faire en s'obstinant ainsi à faire demi-tour. Peut-être Théo a-t-il raison. Peut-être sommes-nous stupides de se jeter ainsi dans la gueule du loup. Je soupire ; Arkan retire son bras de mon épaule et je me penche vers l'avant, pensive. La raison me revient peu à peu ; j'arrive de nouveau à réfléchir convenablement.

— Prenons un peu de recul sur la situation, je lance, songeuse. Les zombies ne sont pas censés exister, normalement...

— Ce ne sont donc pas des morts-vivants, me coupe Iris en relevant le menton dans ma direction, comprenant où je veux en venir.

J'acquiesce :

— Il doit y avoir une explication scientifique derrière tout ça...

— On doit être piégés dans un jeu vidéo comme dans Jumanji, soupire Marius.

Cependant, il déclenche l'euphorie générale ; même moi lâche un rire devant sa mine dépitée.

— On a dit une explication scientifique, Marius ! rit Lee, moqueur. Pas une référence de cinéma !

Son ami étire un sourire et je poursuis, plus sérieuse :

— Avec ce qu'on a vu, on ne peut rien deviner... Mais avec six cerveaux, ça sera déjà plus facile.

— Commençons par voir quel type de zombie c'est, propose Théodore, qui garde les yeux rivés sur la route face à lui.

— Ils savent courir, fait remarquer Iris d'une petite voix.

— Malheureusement pour nous... soupire Arkan, soudain démoralisé.

Je lui jette un regard compatissant, qu'il esquive prestement. Perplexe, je laisse Théodore poursuivre :

— Il faut les frapper à la tête pour les tuer.

— On n'en sait rien, ça, le contredit Lee. Jusqu'ici on n'a fait que les tuer comme ça, mais comme on a rien essayé d'autre on ne peut pas savoir.

Le silence se tasse à nouveau. Je réfléchis à ces dernières paroles en tentant vainement de ne pas ressasser les souvenirs du cadavre de Roxane dans mon esprit. Soudain, une image me revient :

— Vous trouvez normal qu'ils ont tous la mâchoire brisée ?

— Les zombies ne sont pas comme ça normalement ? s'enquit Théodore, surpris.

Je secoue négativement la tête, suivie de Lee :

— Il y a autre chose d'étrange. Pourquoi est-ce qu'ils saignent ? Ils ne sont pas censés être morts ?

— On a dit qu'ils étaient pas des morts-vivants, lui rappelle Arkan.

— Oui mais les zombies ne saignent pas normalement, si ?

Je plisse les yeux, pensive, et je vois les autres faire de même.

— De toute façon, même si on le découvre, soupire Marius, on pourra rien faire. On est six pauvres ados qui ont piqué une voiture et qui ont réussi à s'échapper. On est pas des survivants, et encore moins des scientifiques.

Cette fois-ci, personne ne trouve rien à redire. Tous savent, y compris moi, que notre ami dit vrai.

Zombee / tome 1 : La Chute /Where stories live. Discover now