Il est cinq heures, Paris s'éveille (3/3)

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— OK, j'admets que l'histoire du droit des biens c'est du pur bullshit. Surtout avec Humbert comme prof.

— Sans blague, pouffe Sybille en écrasant sa cigarette dans le cendrier.

— Dans le genre vieux con, on ne fait pas pire, explique Hugo pour m'inclure dans la discussion, mais je m'y sens totalement extérieure.

J'ai beau être à Paris, dans la même pièce qu'eux, c'est comme si j'étais à mille lieues de là. Sur une autre planète.

— Vu qu'il se contente de lire mot pour mot son PowerPoint, à quoi bon venir en cours ?! me demande Sybille comme si j'avais la réponse à cette question. Je le télécharge et je le lis à la maison. Si tu veux mon avis, on devrait le remplacer par une IA. Ça serait tout aussi bien.

— C'est clair, même ChatGPT serait moins chiant à écouter que lui. Enfin, on s'en cogne. C'est bientôt fini. Après les exams, on part trois mois en stage, alors...

— Trois mois de vacances pour toi, tu veux dire, tance Sybille  avec une pointe d'amertume dans la voix.

Elle l'envie. Et pour cause, Hugo n'a eu aucun mal à dénicher son stage : c'est son père qui l'embauche. Contrairement à lui, tout le monde n'a pas la chance d'avoir un père à la tête d'une grande étude notariale.

Son avenir est tout tracé. Lorsqu'Yvan partira à la retraite, il lui passera le flambeau. Un sacré coup de pouce, quand on sait que le nombre d'études en France est limité par un numérus clausus, et qu'en racheter une peut coûter plusieurs millions d'euros...

— Pas sûr que bosser en famille soit le meilleur plan... se défend Hugo, blessé d'être renvoyé à sa condition de fils à papa.

Sybille fait une moue faussement attristée.

— Pauvre bichon...

— C'est vrai, poursuit-il sans se démonter. Regarde Laurine, par exemple, tu crois qu'elle voudrait travailler avec sa mère ou son père ?

Sa remarque me fait l'effet d'un coup de poing à l'estomac. Hugo sait très bien que sa famille et la mienne n'ont rien en commun, si ce n'est l'aisance financière, peut-être, et que c'est un sujet douloureux pour moi.

Les yeux baissés sur mon verre de pinot, je lâche pourtant un « c'est clair ! » passe-partout, riant faussement.

— Merde, c'est toujours tendu avec eux ?

— On déjeune chez eux après Noël, répond Hugo à ma place.

Comme si ce progrès notable effaçait mes griefs...

— Ça sera la première fois qu'on se voit depuis des mois, précisé-je. Donc oui, c'est toujours tendu. Mais il y a du mieux, incontestablement. On est passé de l'ère glaciaire à l'hiver sibérien.

— Putain, ça craint... soupire Sybille en se resservant un verre. Toujours à cause de ton taf ? À croire que t'as ouvert un Onlyfans ou que tu vends des photos de tes pieds. (Elle roule des yeux.) Et même si c'était le cas...

Qu'est-ce que c'est que ce délire autour de ce Onlytruc ?! Faudrait que je me renseigne un jour...

— Ouais, ils l'ont toujours mauvaise. Mais maintenant que je suis embauchée, ils vont bien devoir s'y faire.

— C'est pas une question de l'avoir mauvaise, Laurine, me reprend Hugo d'un ton paternaliste qui me hérisse. (Il fait toujours ça devant les gens...) Ils voulaient juste que tu finisses tes études au lieu de foncer tête baissée. Au cas où ça ne te plairait plus d'ici quelques années.

Ciel, Amour et TurbulencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant