Il est cinq heures, Paris s'éveille (3/3)

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Laisse-moi t'aimer - Laurie Darmon

— T'as l'air complètement à l'ouest... remarque Sybille en tirant sur sa cigarette, une lueur malicieuse dans le regard. Et je ne dis pas ça parce que tu reviens de New York !

À l'instar d'Hugo, je l'ai rencontrée à l'université. Le début d'une amitié inattendue. Car entre elle et moi, c'est le jour et la nuit : Sybille est aussi flamboyante que sa chevelure. Elle n'a aucune limite ni barrière. Ce que je regrette parfois. Elle est capable de monter sur les tables d'un bar sans même être bourrée. Et de vous trainer à sa suite...

Elle sait comment captiver son auditoire, mouvements de crinière et battements de cils à l'appui. C'est une créature indomptable des nuits parisiennes. Magnétique et sensuelle. Tout ce que je ne suis pas, en somme.

En dépit de nos différences, on s'est tout de suite bien entendu. C'est le genre à vous faire sortir de votre zone de confort à grands coups de pieds dans le derrière. J'avais besoin de ça à l'époque. Sinon je serais encore à l'heure actuelle la fille renfermée que j'étais au lycée.

Et toujours célibataire, assurément.

Car soyons honnêtes : sans son entêtement, je ne serais jamais allée à cette soirée en boite où Hugo et moi nous sommes vraiment rapprochés. Et je n'aurais pas osé lui parler au milieu de tous ses potes sans son entremise. Je me souviens encore du coup entre les omoplates qu'elle m'a donné pour me pousser dans ses bras... J'en ai gardé un bleu pendant une semaine !

— Je serais en meilleure forme si je n'avais pas passé la journée à ranger le bordel que vous avez mis hier soir, et que Hugo n'a pas daigné ranger.

Accoudée à la fenêtre de la cuisine, elle se retourne vers le salon où les autres sirotent leurs bières, et plisse les yeux.

— Tu sais que t'es vraiment un con, toi ?

J'ignore s'il a entendu ce qu'on vient de dire, mais Hugo comprend immédiatement à qui elle s'adresse.

— Quoi ? demande-t-il bravache depuis le canapé.

Les autres gars éclatent de rire, se vautrant dans une solidarité masculine idiote.

— Trop dur pour toi le ménage ?

— Entre hier soir, quand vous êtes partis, et les cours ce matin, j'ai pas vraiment eu le temps...

— Il a toujours une bonne excuse, celui-là. (Son regard revient à moi.) Bon, et New York alors ?

— Franchement, magique à cette saison ! Il n'y avait pas de neige, mais les décorations étaient grandioses.

— J'étais sûre que t'allais t'éclater ! Quand j'y suis allé l'année dernière, je ne voulais plus repartir. (Ses yeux brillent en y repensant.) Qu'est-ce que je t'envie d'être payée pour voyager ! Pendant que nous, on est là... à Paris, coincés avec des cours à la con !

— Je ne suis pas vraiment payée pour voyager, corrigé-je.

— Quels cours à la con ? intervient alors Hugo en se servant dans le frigo.

Sybille lui lance un regard désabusé par en dessous.

— Au hasard : la compta des sociétés, l'histoire du droit des biens, le droit bancaire et boursier, énumère-t-elle en comptant sur ses doigts... Genre on a besoin d'apprendre ces conneries pour devenir notaires !

Même si j'ai fait du droit, je suis larguée. Comme je me suis arrêtée au deuxième semestre de licence 3, je n'ai étudié aucune de ces matières. Le Master est censé être plus spécialisé pour préparer les étudiants au marché du travail, mais à les entendre, ça n'a pas l'air foncièrement le cas.

Ciel, Amour et TurbulencesWhere stories live. Discover now