Chapitre III

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Le lendemain du banquet, les premières minutes après mon réveil étaient encore empreintes de confusion, mes pensées peinant à trouver leur ordre. Je m'étais vêtu machinalement, suivant le réflexe habituel, et m'étais coiffé de manière automatique. Lorsqu'enfin je retrouvais mes esprits, devant le miroir de la salle de bain, je soupirais lourdement face à la queue de cheval réglementaire imposée à l'orphelinat. Mes lèvres s'ouvraient alors dans un sourire, dès que je lachait mes longs cheveux auburn pour les laisser tomber en cascade. J'attachais à l'aide d'une pince, les quelques mèches qui entouraient mon visage à l'arrière de la tête.

Me concentrer sur des choses futiles comme la présentation de mes cheveux le matin, m'aidait souvent à retrouver mes esprits et à sortir de l'angoisse. Aujourd'hui, néanmoins, c'était un échec. Ce fut pire encore lorsque que mes yeux tombèrent sur un immense tableau noir contre les murs de la salle commune, j'avais cette désagréable sensation au ventre. C'était comme sentir mon estomac être extirpé de mon être par des griffes acérées.

"Merci Tasha." Lançai un élève de première année qui n'était pas censé me connaître, et qui inscrivait pourtant -Tasha Smith- en lettre cursive sur le tableau à côté de ses semblables. Seul mon nom y figurait. Écrit en petit, penché, en gras. Certains avaient même commencé à écrire par-dessus les autres. La place était si rare, mais il ne faisait aucun doute que j'étais la championne de Poufsouffle pour ce tournoi. Aucun retour en arrière n'était possible, effacer mon nom serait vain. Avalant difficilement ma salive, afin de tenter de garder une figure de façade, j'attrapai la craie enchantée sous les regards médusés de mes camarades.
En lettres immenses, d'un bout à l'autre du tableau, sur les écritures de tout le monde, j'y inscrivais moi même mon nom en entier :

TASHA MORGANA SMITH

Je quittais alors notre salle commune sans un regard vers mes camarades dont le bourdonnement des conversations me parvenaient encore même lorsque la porte en bois s'était refermée derrière moi.

J'ai écourté le petit-déjeuner, buvant seulement un jus de citrouille frais et fourrant une pomme dans la poche de ma cape. Poppy essayait tant bien que mal, de m'arracher un mot ou deux, alors que je restais aussi silencieuse qu'un mort.
Loin de moi l'idée d'ignorer volontairement la bouille angélique de ma camarade, mais rien qu'à la pensée de ce qui m'attendait cette année, mes lèvres se mettaient à trembler d'émotions et les yeux me brûlaient. Je m'étais renseigné toute la nuit sur ce tournoi d'antan, et j'avais peur : C'était mortel.

Des combats contre des dragons dans une arène. Infiltration dans une grotte de géant des montagnes pour lui voler de l'or. Labyrinthe de vingt-cinq kilomètres dans le désert. Voilà ce qui avait été infligé à des élèves entre onze et dix-sept ans. Loin d'être des sorciers aguerris, accomplis et matures.

Si un jour mon histoire était contée, on aimerait sûrement me demander ce qu'il m'avait poussé à accepter le fait de devenir volontaire. Si je pouvais répondre, je poserais une autre question : Avais-je vraiment eu le choix ? Dans tous les cas, ils auraient noté mon nom. Les Poufsouffles n'étaient pas courageux. Nous agissions par loyauté, altruisme. C'est ce qui m'avait poussé l'année dernière, à sauver l'école. Pour ses pauvres élèves, pour ce monde que je venais de connaître et dans lequel je me sentais si bien. Je ne voulais pas que l'on me retire les moments de joie que j'avais enfin pu connaître loin de ce pensionnat.
Pourtant cette année, je n'avais pas eu le choix. Ils auraient inscrit mon nom avec ou sans mon accord. Maudite gentillesse qui m'a poussé à leur enlever ce fichue sentiment de culpabilité.

Le sol carrelé de pierre devenait flou sous mes pas. Mon regard embué de larmes ne parvenait pas à distinguer les pavés. Par chance, je connaissais l'école par cœur. Trouver la crypte ne fut pas difficile. Ce qui l'était, c'était de me décider à ouvrir la porte en sachant qu'à l'intérieur se trouvait Ominis Gaunt et Sebastian Pallow m'attendant de pied ferme pour débriefer à propos de la surveillance qu'avait sûrement placé le Ministère sur moi. Il fallait que je prenne le temps de respirer. De calmer mes émotions. Par Merlin, Tasha. Tu ne peux pas te montrer si faible. Tu es plus que ça, non ?

Imperfect LegacyWhere stories live. Discover now