Le Cycle du Kunnen - Les Protecteurs

Chapitre 1 - Carline

Lagarde - Ucaradé

Carline était levée depuis quelques heures, son maigre bagage prêt, le ventre plein. Cela faisait déjà quelques temps qu'elle était là, l'oreille collée à la porte, guettant le signal du départ. Elle entendit enfin une porte grincer, puis des pas lourds dans le couloir. Elle retint son souffle lorsque les pas s'arrêtèrent devant sa porte et put à nouveau respirer librement dès que ceux-ci reprirent leur route. Cela aurait pu être n'importe quel client de l'auberge, mais elle savait qu'il s'agissait de Kori. Qui d'autre que lui se serait arrêté juste devant sa porte ?

Elle attendit encore quelques minutes, puis ouvrit délicatement la porte. Personne en vue, elle pouvait sortir sans soucis. Malgré elle, elle jeta un œil à celle de la chambre de Kori. Bien évidemment, il ne l'avait même pas fermée derrière lui, sans doute encore perdu dans ses pensées. Et dire qu'elle trouvait son étourderie amusante au début !

Elle se souvint de leur rencontre et de sa proposition de travail comme d'un beau rêve. À l'époque, elle travaillait dans une auberge comme celle-ci, subissant tous les jours les pelotages et les œillades déplacées des clients, et même du patron. Il n'y avait que Kori qui restait courtois et poli avec les serveuses, mais certainement plus par timidité que par galanterie. Alors quand il lui avait proposé une place d'assistante dans ses recherches, elle n'avait pas hésité une seconde ! Certes, le travail était mal rémunéré au début, mais l'atmosphère tranquille et sereine du local de Kori lui avait paru rafraîchissante. Surtout qu'avec sa peau dorée qui prouvait ses origines des îles Kapua, elle était rarement prise au sérieux... Elle s'était découvert une vraie passion et un talent réel pour la conception de navires. Expérimentée en matière de navigation, elle avait apporté des idées novatrices, que Kori s'était empressé d'ajouter à ses croquis. Elle avait alors pensé avoir enfin trouvé l'épanouissement.

Mais au fur et à mesure des semaines, Kori la retenait de plus en plus tard au local, devenant de plus en plus entreprenant... Au début elle avait pensé que les frôlements étaient simplement dus au hasard. Mais, un soir alors qu'elle lui exposait une nouvelle idée d'amélioration, il lui avait subitement pris la main et avait tenté de l'attirer à lui. Elle avait réagi avec son impétuosité habituelle et l'avait repoussé avec brutalité, lui lançant un regard noir. Il avait alors rougit, puis s'était détourné, frémissant de la tête aux pieds. Il l'avait chassée, annonçant ne plus vouloir entendre parler de ses inepties de femme inintéressante. Depuis leurs rapports étaient devenus conflictuels, et il avait adopté une moue boudeuse qui ne l'avait plus quitté. Mais au moins les frôlements et les tentatives de rapprochement s'étaient arrêtés...

Puis il avait réussi à convaincre l'Assemblée et la construction des cinq navires avait été lancée. L'équipe s'était alors agrandie, tandis que Kori s'absentait de plus en plus régulièrement pour suivre la construction. Leurs rapports étaient redevenus à peu près cordiaux et il lui avait alors demandé de l'accompagner au départ des navires. Elle avait sauté sur l'occasion, espérant pouvoir le convaincre de la laisser participer à l'expédition.

Depuis que celle-ci était prévue, Carline ne rêvait plus que de monter à bord et de partir à la découverte du monde. Kori était persuadé que le voyage ne durerait que deux mois et qu'ils rejoindraient l'autre côté de l'Ucaradé sans rien découvrir. Mais elle avait le sentiment que quelque chose se trouvait là-bas, derrière le vaste océan ...

Cela faisait maintenant dix ans qu'elle n'avait pas navigué. Au début, cela ne lui avait pas trop manqué, occupée qu'elle était à survivre. Maintenant que sa vie était à nouveau stable, elle ressentait un besoin viscéral de monter à nouveau sur un bateau. Elle se rappelait avec acuité du sel sur ses lèvres, du vent dans ses cheveux, des embruns sur sa peau lorsqu'elle naviguait avec son père. Mais ce qui lui manquait le plus était cette impression de partir à l'aventure chaque fois qu'elle se retrouvait au milieu de l'océan.