𝟹𝟹 - 𝚂𝙾𝙻𝙳𝙰𝚃𝚂

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Dans un soupir, je me mets à parcourir chaque meuble. Je fouille les rayons, mon bureau, mais l'endroit le plus sûr pour ranger mon traitement se situe dans mon placard, au fond d'un vieux sac de sport. J'extirpe une pilule d'une boîte, mes doigts légèrement tremblants, et l'avale d'un coup sec avant de tout dissimuler dans la poche la plus grande. Je retourne dans la pièce pour me servir un verre d'eau. La partie cuisine offre une vue d'ensemble sur le salon, où je peux scruter la tenue de mon père sans problème.

— Tu fais quelque chose, ce soir ?

Ses sourcils se haussent.

— Eh bien... Je regarde un match de foot ?

— Après le match.

— Je sors.

— Avec qui ?

— Des collègues. On va boire un coup.

— Un jour de Saint-Valentin ? Rasé et en costard tout juste récupéré au pressing ?

Je croise mes bras sur ma poitrine en le fixant sans détour. Mon père ne pourra jamais me feinter ; il a devant lui un triste professionnel dans le domaine du mensonge.

— Tu me lâches sans cesse cette excuse. Il va falloir te renouveler.

— J'ai beaucoup d'amis.

— Tu as rencontré une femme et tu ne veux pas l'admettre.

Un coup de sifflet retentit, ajoutant une note discordante à notre dialogue. Les maillots bleus se regroupent dans la surface de réparation de l'équipe adverse, prêts à continuer le jeu au corner. À l'image de ces sportifs, nous sommes pris dans un moment où tout peut basculer.

— Papa.

— Oui, j'ai quelqu'un.

Miracle !

— Tu vois ! Il n'y avait rien de compliqué !

— De ton point de vue, peut-être...

— Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui t'empêchait de m'en parler ?

— C'était dur en tant que père d'envisager de te présenter une femme qui ne te sera jamais liée par le sang.

La lueur de gaieté qui brillait en moi s'éteint, engloutie par une obscurité soudaine. Je ne suis qu'un oiseau pris au piège, un spectateur impuissant de la confrontation mortelle entre le passé et le présent de l'homme qui m'a fait renaître. Ses mots résonnent comme des coups d'enclume dans mon ventre, martelant mon âme d'une précision implacable.

— S'il te plaît, papa, arrête de ressasser ce que nous avons perdu et songe à ce que nous pourrions gagner.

— Tu sais que j'aurai toujours une pensée pour ta mère, quoi qu'il arrive...

Je hoche la tête, l'estomac noué au contact de cette promesse. Il a aimé cette femme que je déteste tant, et l'a chérie jusqu'à sa mort désespérée. Il est temps que je réagisse en homme, et non en fils vexé.

— C'est ton droit. Personne ne doit te l'enlever.

Je caresse lentement ma gorge pour apaiser les sanglots qui se forment.

— Comment s'appelle-t-elle ? je l'interroge afin de revenir au sujet principal.

— Sandie. J'ai fait sa connaissance au magasin quelques jours après ta chute à moto. Une nouvelle cliente un peu paumée en matière de vins, dit-il en riant doucement, comme si le simple souvenir de son visage pouvait effacer les années de tristesse et de solitude. C'est probablement ce qui m'a tout de suite plu chez elle, son air étourdi.

Last WoundsWhere stories live. Discover now