Chapitre 24

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Tout va pour le mieux. Le feu est éteint et les métamorphes ont déjà prévu d'entamer les réparations. Julie s'est réveillée à l'infirmerie et, bien qu'un peu faiblarde, elle est en bonne santé. Sa tête a cogné contre le carrelage durant notre chute, ce qui a sans doute entrainé sa perte de connaissance. Heureusement, elle n'en garde qu'une énorme bosse. Il parait que la peau des métamorphes est presque aussi dure à percer qu'une peau de dragon.

Enfin, c'est ce qu'ils racontent.

Ma main est encore douloureuse depuis l'épisode cuisant de la poignée de porte trop chaude. Malheureusement, je ne peux rien faire d'autre qu'attendre que ma souffrance s'atténue. Les stocks d'antidouleurs de la meute ne sont pas très grands et, avec le blizzard surnaturel qui nous empêche de se ravitailler au village de Chamonix, il vaut mieux les réserver pour des cas plus graves.

Avec les monstres étranges qui nous tombent dessus, on n'est jamais trop prudent.

Épuisée, mais néanmoins incapable de trouver le sommeil, je m'affale sur le canapé et cherche un programme intéressant à la télévision. Bien-sûr, avec la météo catastrophique qui nous tombe sans cesse dessus, on ne capte aucune chaine. Je suis dans l'obligation de me rabattre sur un DVD. Malheureusement, la maison ne contient qu'un très petit stock de CD, datant tous du XXᵉ siècle. Je me retrouve donc à choisir entre Shining ou La ligne verte.

Va pour le film d'horreur.

Les minutes passent, et j'en arrive à la funeste course-poursuite dans le labyrinthe gelé. Le suspense est à son comble, lorsque des coups résonnent contre la porte d'entrée. Je sursaute, surprise. Puis je repousse le manteau de fourrure sur mes jambes et m'en vais découvrir le nouveau venu.

Cerise attend patiemment derrière la porte, une main sur la hanche.

—Il y a un problème ? je demande.

Un autre incendie ? Un énième enlèvement ? Une créature des enfers de plus ?

—Je crois que tu as de la visite.

Elle s'écarte, laissant apparaître la silhouette traînante de mon meilleur ami.

Les larmes me montent aux yeux. Amos a réussi. Il l'a retrouvé. Théo est enfin là, devant moi, sain et sauf.

Je cours et lui saute dans les bras. Je le serre tout contre moi, plus que ravie de le revoir vivant.

—Pas de coup de coussins cette fois ? s'exclame t-il étouffé par mon étreinte.

Je ris en me remémorant nos premières retrouvailles où nous l'avions tous surpris en pleine action.

—Non, je vais juste me contenter de t'asphyxier.

—Quelle générosité ! ironise t-il. Oh, j'allais oublier...

Il s'écarte doucement, titubant quelque peu sur ses jambes. Je me rends alors compte que, s'il est bien vivant, il n'a pas l'air au plus grand de sa forme. Deux cercles bleuâtres cernent ses yeux, et le tissu de son pantalon est taché de couleur rouille.

—Regarde ce que j'ai retrouvé.

Théo me tend un grand sac à dos qui semble bien rempli. Je mets quelques secondes avant de reconnaitre le sac que j'ai abandonné dans la montagne avant de trouver le village de la meute.

Sautillant de joie, je l'attrape et farfouille dedans, retrouvant avec bonheur toutes mes affaires personnelles.

Oh là là, je vais enfin pouvoir m'habiller avec mes propres vêtements !

—Oh, il manque mon portable, réalisé-je.

Il a dû tomber du sac. Si c'est le cas, je ne suis pas près de le retrouver.

—Ne perdons pas de temps. Rentre et viens t'asseoir ! Tu as l'air exténué.

—Ça a sans doute un lien avec le fait que je me sois retrouvé attaché à un arbre sous une tempête de neige pendant plusieurs heures, rit-il jaunement.

Il entre à l'intérieur, soupirant de bonheur après s'être assis sur le canapé.

Je m'apprête à le rejoindre lorsque mon regard croise celui d'un autre homme au loin.

—Je te rejoins tout à l'heure. J'ai quelque chose à faire d'abord, dis-je à Théo avant de m'en aller.

Amos m'observe silencieusement alors que j'avance vers lui. Les mains dans les poches de mon pantalon, je n'ose pas le serrer dans mes bras. Le grec ne semble pas très content.

—Il n'existe pas de mot assez grand pour t'exprimer ma gratitude. Si jamais il serait mort...

—J'ai fait ce que j'avais à faire, tu n'as pas besoin de me remercier pour ça.

Je lui souris timidement. Mais Amos, lui, reste de marbre.

—Cerise m'a appris ce qu'il s'est passé, dit-il de but en blanc.

Ah, c'est donc ça.

Je cache ma main bandée derrière moi par réflexe, mais Amos me surprend et l'attrape doucement.

—T'as raté un sacré feu de joie, essayé-je de plaisanter.

Mais Amos ne parait pas du même avis. Après avoir observé le bandage sur ma main, il ancre ses durs yeux noirs dans les miens. Je suis aussitôt envahie par une vague de culpabilité que je sens monter en moi.

—La louve m'a expliqué que tu avais tiré une métamorphe en dehors de la maison. Puis que tu y es retournée, tête baissée.

Je baisse la tête vers mes pieds, ne supportant plus la contrariété dans son regard.

—J'avais laissé ton manteau à l'intérieur. Je ne voulais pas qu'il brûle...

Amos lâche ma main avant d'emprisonner mon menton entre ses doigts. Il lève ma tête, me forçant à ré-affronter son regard.

—Je préfèrerai mille fois que ce tas de fourrure brûle plutôt que de te voir risquer ta vie pour le récupérer.

Mon cœur cogne fort contre ma cage thoracique tandis que son visage n'est qu'à quelques mètres du mien. J'ai si chaud, et ma bouche est si sèche. Par réflexe, je passe ma langue sur mes lèvres, attirant l'attention d'Amos sur celle-ci.

Quelque chose change dans l'atmosphère. L'air est électrique tandis que nos corps brûle de désir. Aucun de nous n'ose faire le premier pas. Cette proximité a un goût d'interdit. Ce serait péché que de flirter avec un homme que nous ne pouvons pas avoir. Et Amos est le plus inaccessible des hommes : maudit, dangereux, immortel.

Et moi, que suis-je ? Une banale humaine qui va sitôt retrouver le confort de son foyer une fois que tout sera calmé. Tout un monde nous oppose.

Mais, se l'interdire est-il vraiment le bon choix à faire ?

Il est hors-de-question que je passe le restant de ma vie à regretter de ne pas avoir pris ce risque.

Prenant mon courage à deux mains, je cède à mes pulsions primaires et me jette sur les lèvres du Grec. Amos, bien que surpris, ne recule pas. Il ne me repousse pas, ni ne tente une vaine tentative de m'éloigner. Au contraire, je sens ses bras enroulés autour de moi venir me presser contre son corps avec délice.

Si cet acte nous est interdit, les lèvres d'Amos sont un véritable paradis de douceur. Je soupire d'aise contre sa bouche, comme si, au fond de moi, j'avais attendu cet instant toute ma vie.

Au bout de quelques secondes de pur bonheur, nous nous écartons à bout de souffle. Je n'ose pas ouvrir les yeux, désirant ardemment faire durer la magie de l'instant. Je sais que le moment est inévitable, il va bien falloir que nous affrontions la gravité de notre acte à un moment donné. Mais pas maintenant.

Par pitié, laissez-moi du temps.

—Ça, petite chose, c'est ce qu'on appelle jouer avec le feu.

Redescendue de force de mon nuage par une intonation de voix qui ne me dit rien qui vaille, j'ouvre brusquement les yeux. J'avais imaginé tout un tas de scénario sur la réaction d'Amos suivant notre tout premier baiser.

Parmi toutes les possibilités imaginées par mon esprit, je n'avais jamais pensé que le smilodon d'Amos pourrait venir s'en mêler.

Maudit Smilodon !Where stories live. Discover now