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Ma jambe bat la mesure. Mes ongles foncent direct dans ma bouche. Je suis stressé si vous n'aviez pas compris.

Je me gratte la tête. Essuie la sueur qui coule sur mon front. Un cours de SES n'a jamais été aussi douloureux, et pourtant, il y en a eu des cours mortels avec Madame Riondet.

Je pense à Eliott que j'ai abandonné. Parce que oui, je ne peux pas m'enlever de la tête que je l'ai laissé avec sa mère et son père, incapable de le protéger. Je pense à Eliott, seul. Je pense à mon Eliott, recroquevillé dans sa chambre, avec pour seule consolation, la voix douce de Brassens.
Je vais devenir fou.

A l'instant même où la sonnerie retentit, je fourre mes affaires dans mon sac et me lève.

Mais une voix m'interpelle dans les couloirs.

- Colin !

C'est Hugo qui trottine vers moi pour me rattraper. Je considère toutes les options qui s'offrent à moi et il n'y en a pas beaucoup. Je ne peux pas faire semblant de ne pas l'avoir entendu. Je ne peux pas continuer mon chemin. Alors je me retourne et attends.

- Qu'est-ce qui se passe ?

Je fronce les sourcils.

- Quoi ?

- Je t'ai vu en cours, tu... Enfin tu n'avais pas l'air bien. Mais après tout, peut-être que tu ne veux pas en parler. Je suis désolé si je te dérange encore.

Il a l'air vraiment embêté. Et si on y réfléchit bien, je n'ai que lui. Ouais je sais, c'est complètement fou ce que je suis en train de dire mais c'est vrai. Will est fâché contre moi et Alex aussi, dieu seul sait pourquoi ! Peut-être que, tout compte fait, il n'est pas vraiment un Michel pur et dur. Un demi-Michel disons.

Je soupire et recommence à marcher à ses côtés cette fois-ci.

- Je garde un enfant, Eliott. Il est... Génial, tu vois ? Je veux dire, je déteste les gosses, mais lui il est différent. Il est fascinant. Il te regarde et tu pourrais croire que tu es le roi de l'univers. Ça peut paraître très con, mais c'est vrai.

Il sourit et je me sens un peu moins bête, alors je continue :

- J'ai appris, hier, que son père battait sa mère. Enfin je m'en doutais ces derniers temps, mais c'est plus sympa le déni, tu vois ?

- Et tu t'en veux de n'avoir rien fait plus tôt, élude-t-il.

- Ouais. Mais en plus de ça, je l'ai laissé seul, hier, avec ses parents, alors qu'il me l'a dit, bordel ! Mais qu'est-ce que je peux faire ? Porter plainte ? Dire à son père « Arrêtez de battre votre femme, espèce de connard de Michel » ?

- Michel ?

- Ah... Ouais, « Michel ». Ce sont tous les gens insupportables qu'on frapperait bien.

Ses yeux rieurs s'illuminent.

- Laisse-moi deviner, Milo en fait parti ?

Je ne le contredis pas, ce serait inutile, et me garde bien de lui annoncer qu'il est un demi-Michel.

Il s'arrête, me sourit et hausse les épaules :

- Tu peux toujours lui en parler à elle. Elle se sentira sans doute moins seule.

- Et Eliott ? Si elle ne quitte pas son mari ? Je ne peux pas le laisser...

- Fais-toi confiance. Tu vas y arriver. Et si ça ne marche pas, tu trouveras autre chose.

Je lui rends son sourire. Je me sens fort. C'est tout ce que j'avais besoin d'entendre.

- Merci, lui fais-je.

Il lève les yeux au ciel.

- C'est rien.

Si vous voulez mon avis, ce « rien » peut faire beaucoup. Mais je garde ça sous silence aussi. Ce serait trop cliché.

J'efface peu à peu toutes les critiques de mon esprit. Hugo a des amis débiles mais lui... Eh bien lui est à part. Je le sais maintenant, il n'a rien de méchant, j'étais juste trop en colère pour le voir. On en vient même à s'échanger nos numéros de téléphone. Ouais, bon, pas la peine de faire cette tête, je vous vois venir.

Bref. On finit par se quitter. Il a Milo à retrouver et moi mon passé à renouer.

Je m'assois en face de Will et Alex qui discutent. Il y a Édith sur le banc d'à côté. Son banc sur lequel elle lit tous les jours. Bizarrement, c'est rassurant de la voir, elle qui ne change jamais.

- Will, je suis foutrement désolé. Je sais que j'aurais dû te le dire. Mais j'avais tellement honte, et il avait tellement besoin d'aide... Je sais que je n'aurais pas dû mentir, mais je sais aussi que notre amitié devrait être plus importante que tout ça. Je sais qu'on était heureux de juste traîner ensemble, boire des gommosas, écouter du Avril à fond. Je sais que j'ai fait n'importe quoi, mais je sais aussi que je suis capable de changer, enfin pas trop quand même parce que je suis déjà exceptionnel. Et toi, Alex, je ne sais pas ce qui te prends mais je t'emmerde. J'aimais Oscar, OK ! Et je sais que dans le fond, ça te dérange. Je sais que tu te sens obligé de faire semblant, de toujours t'adapter, te faire accepter. Mais envoie-les se faire foutre ! Tu vaux mieux que ça, mec. Tu es très bien dans tes joggings et tes vieilles baskets.

Je me lève devant leurs yeux écarquillés et reprends ma respiration.

- Et arrête de te mentir ! Tu l'aimes Pauline, bordel ! Et elle-aussi ! Alors arrête de faire le con et fonce !

Les larmes aux yeux débarquant, j'ajoute :

- Et je vous en veux aussi ! Oui, je vous en veux ! Je vous aime, les gars et vous m'avez abandonné. D'accord, j'ai merdé, mais j'ai besoin de vous ! J'ai compris que je ne pouvais rien faire tout seul. J'ai besoin de vous...

Je tourne les talons. J'ai dit tout ce que j'avais à dire. C'est bon. C'est fait. Je ne prends pas le temps d'écouter ce qu'ils pourraient dire. Je veux juste qu'ils sachent. La balle est maintenant dans leur camp. Je ne peux plus rien faire si ce n'est attendre. Attendre qu'ils pardonnent. Attendre que ça s'arrange. Attendre.

« On verra », je me répète. On verra. Demain. Tout à l'heure. On verra. Un jour. Un instant. On verra, comment termine cette histoire, mon histoire.

On verra.

Confessions d'une tapetteWhere stories live. Discover now