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Ils ont éteint tous les lampadaires pour faire des économies d'énergie. Je trouve ça cool mais si vous voulez mon avis, ça fout quand même vachement la trouille. Même si je suis un homme, rappelons que je suis davantage un homme-oiseaux qu'un grand gaillard. Conséquence : me balader seul en fin de soirée est un brin inquiétant. 

C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte qu'on tient encore à la vie. S'il n'y avait plus aucun espoir, il n'y aurait plus aucune peur, juste l'attente de la mort. 

Enfin bref. Je marche donc, dans la nuit noire, je repense à tout ce qui s'est passé dans la journée. Et surtout à la fin de soirée. La voix d'Eliott retentit dans ma tête. Et celle de Mathilde aussi. 

Avant de partir, elle m'a raccompagné au portail. 

— Merci d'être venu. Eliott vous aime vraiment beaucoup, m'a-t-elle dit.

— C'est le puzzle, ça l'a amadoué, ai-je ris.

— Non, c'est vous, Colin, seulement vous, avec votre gentillesse.

Mon sourire s'est peu à peu effacé. Et j'ai passé une main dans mon cou, histoire de me donner une contenance.

— Je suis désolée pour cette fin de soirée on ne peut plus compliqué.

Elle ne m'a pas dit « Je suis désolée pour mon mari ». Elle ne s'est pas expliquée sur sa colère, ou les quelques verres (et je suis gentil) qu'il avait dans le nez. Non, elle s'est excusée parce que la situation était « compliquée ». 

Je ne trouve pas ça compliqué, moi. Il lui aurait crié dessus si je n'avais pas été là. Et tout le monde trouve ça normal.

— Prenez bien soin de votre blessure. Il ne faudrait pas qu'elle s'infecte.

J'ai posé un doigt sur la coupure près de mon sourcil. 

— Passez une bonne nuit, Colin.

Puis elle a ajouté avant que je ne parte :

— Vous êtes une très bonne distraction, vous aussi.

J'ai souri, mais elle ne pouvait pas le voir, il faisait bien trop sombre. 

Pour être tout à fait honnête, je n'en ai rien à faire d'être une bonne distraction. Je veux comprendre ce qui se passe dans cette famille. Je ne veux pas qu'elle me dise que je suis « gentil », elle ignore tout ce que j'ai pu faire. Si elle le savait, elle me détesterait. Exactement comme tout le monde. C'est ce que je me dis en marchant jusque chez moi à défaut de ne pouvoir écouter de la musique (on ne sait jamais ce qu'il peut arriver pendant qu'on écoute du Nina Simone tandis que la ville entière est plongée dans l'obscurité). 

Alors que je remonte tous les escaliers (l'ascenseur est encore en panne) et que cette bonne vieille odeur de poisson pourri persiste dans le hall, rentrer chez soi est une délivrance exquise. 

Bon. Sauf que tout le monde s'y attend. Rien ne se passe comme prévu. Il y a des journées comme ça, où on vit des tas de trucs, puis, le lendemain, c'est le néant le plus total. Il y a très certainement un problème de juste-milieu.

— Colin ?!

Je sursaute, et c'est un euphémisme, je peux vous le dire. En réalité, mon cœur manque de lâcher, mes jambes se mettent à trembler, une main sur le cœur, je crie :

— NON MAIS ÇA NE VA PAS DE ME FAIRE UNE FRAYEUR PAREILLE ?!

Ma mère se liquéfie.

— Pardon mon Colin. Je ne voulais pas te faire peur.

— C'est raté ! Tu te rends compte que je m'attendais à ce que tu sois couchée, et puis là, j'ouvre la porte et me trouve nez à nez avec une femme debout, dans notre appartement, notre appartement à moitié éteint. Tu m'as fait flipper ! Sans vouloir te vexer, tu as tout l'air d'une femme avec de petits problèmes au ciboulot à errer comme ça.

Confessions d'une tapetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant