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L'air déterminé collé au visage, le regard terriblement sérieux, je m'avance vers la table de Will. Plus déter, tu meurs.

Il y en a assez de toutes ces broutilles. On est potes depuis la nuit des temps, j'ai vu William chanter Avril à tue-tête, Alex vomir dans des buissons après une soirée des plus virulentes, mon téléphone est rempli de photos de mes potes en train de se taper leurs meilleures siestes, j'ai des souvenirs pleins la tête, une tonne de gommosas dans le ventre. On ne peut pas rayer tout ça parce que j'ai fait une toute petite erreur. Qui n'en fait pas ?

- Will ? Comment tu vas ?

Je fais abstraction des Michel qui pullulent et m'assois à côté de mon pote. Seulement, j'ai droit au plus grand vent de l'histoire de l'humanité. J'essaye du côté d'Alex.

- T'es dispo pour aller boire un Gommosa ce soir ? Ça fait longtemps.

- Déso, mec. On a déjà prévu un truc.

Si vous n'aviez pas compris, il n'est pas désolé pour un sou. En fait, il en a clairement rien à faire. Cerise sur le gâteau, ils se lèvent, prennent leur plateau et partent. Non, ce n'est pas un cauchemar. Mes amis me snobent.

- Fais pas cette tête, me lance Milo, t'as qu'à aller te faire l'autre, là, Sami. C'est une p'tite tafiole comme toi, à ce qu'il paraît.

Ma bouche s'ouvre en grand, se referme, s'ouvre à nouveau, je jette un regard vers Will, attend qu'il dise, fasse, quelque chose. Il passe une main dans son cou et part.

Je regarde autour de moi. Les tables voisines n'en ont pas perdu une miette. Je me recroqueville sur moi-même et commence à manger. Seul. A une table vide. Quelques rires fusent. Puis non, non, je ne peux pas rester là plus longtemps. Je me lève, dépose mon tableau, et pars m'enfermer dans les toilettes.

Je ne pleure pas. Pas une larme. J'appelle Oscar, évidemment il ne répond pas, mais je lui laisse un message rempli de colère. Je l'insulte de tous les noms. Après ça, je me dis que Monsieur Aba serait d'une aide précieuse. Mais lui-aussi doit me détester à l'heure qu'il est.

Plus de Will, plus d'Alex, plus de Monsieur Aba. Je pense à ma mère mais elle n'a pas besoin de ça alors j'appelle Mathilde pour prendre des nouvelles d'Eliott. Je tombe sur la messagerie.

Seul.

Complètement seul.

J'observe mon reflet dans le miroir. J'abats mon poing contre la vitre. Une. Deux. Trois fois. Je n'ai même pas assez de force pour faire des dégâts. C'est pathétique. Je suis pathétique.

Je finis assis par terre, à croire que ça devient une habitude, les nerfs à vif. Il y a le même mot qui tourne en boucle.

Tafiole.

Tafiole.

Tafiole.

T

A

F

I

O

L

E

Ça dégringole. Les lettres les unes à la suite des autres.

Je donnerais tout pour avoir Eliott près de moi. Il ne me jugerait pas, lui. Je ne suis ni une tafiole, ni un ami indigne, ni un connard trop prétentieux. Je suis Colin, celui qui fait des puzzles avec lui, je suis Colin, le gars qui regarde le ciel à ses côtés. Je veux être ce gars-là. Et rien d'autre.

Pour une fois, je n'ai pas envie de me dire que le monde est beau. J'ai la rage. Marre de rester assis sur ma chaise à longueur de journée. Marre d'aider ma mère. Marre de culpabiliser. Marre de ces foutues insomnies. Marre des Michel, de Mathilde, des gens qui pleurent, de toute cette foutue tristesse. Qu'ils aillent tous se faire voir.

Je jette mon sac sur mon épaule, enfonce mon téléphone dans ma poche, et déploie mes échasses pour rejoindre l'extérieur. Je les trouve en moins de deux devant le lycée. Faut dire qu'avec leur trop-plein de testostérone, on les repère de loin.

Je fonce sur Milo sans réfléchir et lui assène un coup de poing en plein dans le pif sous le regard médusé de ses amis. Il ne tarde pas à répondre en me balançant des coups à son tour.

Pour la première fois de ma vie, ma taille est un sacré avantage. Il peine à atteindre mon visage. Toutefois, il est vachement plus fort que moi (ce qui n'est pas très compliqué).

- C'est quoi ton problème, hein ?! il hurle.

Je ne m'arrête pas, droite, gauche, droite. Lui non plus d'ailleurs, il me fout un coup dans l'estomac qui me plie en deux.

Quand je me redresse, je remarque qu'un attroupement s'est formé autour de nous. Il essuie son nez en sang et me jette un regard noir tandis que quelqu'un essaye tant bien que mal de me maintenir en arrière. Un instant, je pense que c'est Will ou bien Alex. Ouais, le mec continue d'espérer. En fait, ils sont près de Milo. Avec Milo. Ils sont contre moi.

- Allez viens, répète une voix en me tirant.

Je n'entends plus rien. Je ne vois plus rien. Il n'y a plus que la rage. De partout. Elle dégouline sur ma tempe, elle fourmille dans mes poings. Je regarde ce connard et j'ai envie de lui cracher à la gueule. Lui dire à lui, droit dans les yeux, qu'il ne sait pas ce que c'est de perdre tous ses amis, d'avoir une mère à gérer, un gosse hyper bizarre à garder. Il ne sait pas, lui, ce que c'est d'avoir son père dans une tombe, il ne sait rien. Il ne sait pas, lui, ce que c'est, d'avoir toute cette mélancolie en soi et de ne pas savoir comment la sortir.

Dans ce même bourdonnement incessant, on me tire. Mais je ne me laisse pas faire. Je me débats.

- La tafiole t'emmerde, connard !

Il veut se jeter sur moi mais Alex le tient fermement. Tant mieux, parce que j'ai beau faire genre, il m'a quand même sacrément amoché et je ne suis pas du style téméraire.

C'est la première fois que je me bats. Je suis plus du genre petite blagounette autour d'un Gommosa ou d'une bière à la rigueur (soyons fous).

Soudainement, les bruits m'assaillent, des gens qui rient, qui crient. J'ai juste le temps de voir Pauline, debout dans un coin à l'écart des autres et lui dire :

- Ton tee-shirt te va hyper bien !

Puis je me laisse tirer loin de la foule. Loin du carnage.

Confessions d'une tapetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant