9. Sous le cerisier fleurissent les ancolies

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La tombe de Magnolia était exactement là où Asong avait prédit qu'elle serait. Marchant à travers les arbres sombres d'un pas vif, il se rapprocha du manoir, suivant la voix douce qui fredonnait dans ses oreilles, l'empreinte même de celui qui avait vécu tant d'années enfermé dans ces murs désormais vivants. Il s'orienta aisément dans les couloirs long et sinueux, comme s'il avait fait cela toute sa vie, et bientôt aperçu la petite porte de bois qui avait abrité l'endroit que Magnolia avait tant chéri. Le jardin n'était plus qu'un amas de ruines et de hautes herbes, ronces et orties levant les bras au ciel, les fleurs envahies par la végétation morte depuis longtemps, et seul n'y poussaient plus que quelques plantes sauvages et pissenlits.

Le cerisier cependant était toujours là, aussi grand et fier qu'il l'avait été quelques centaines d'années auparavant, ses longs bras s'étendant jusqu'à en couvrir le jardin tout entier. Là, à ses pieds, une stèle de pierre s'était érodée avec le temps et l'usure, recouverte de mousse et d'herbes montantes. Mais quand le garçon s'approcha, la terre murmurant sous son passage combien il lui avait manquée, et qu'il passa sa main sur le marbre froid, sous ses doigts se dessinèrent des mots qu'il reconnut de suite. À celui que j'aime, qui ne m'a jamais aimé, et toute l'ironie de la situation frappa Asong comme il resta là à genoux devant la tombe d'un homme qui l'avait aimé sous un autre nom et une autre forme, qui l'avait porté dans son coeur avec tout l'amour qu'il n'avait jamais su donner à un autre. Et Gabriel soudain n'était plus rien d'autre à ses yeux que l'existence misérable et pleine de remords qu'Asong aurait pu devenir, si leurs destins avaient été échangés. Asong en rit presque, moqueur. Sur la tombe de Magnolia fleurissaient des ancolies aussi bleues que l'avait été le ciel le jour de sa mort. Elles cachaient les marguerites qui avaient bercé de leurs pétales un autre, le soir de sa mort.

C'était là le plus grand défaut de Magnolia, qu'il avait ensuite laissé comme seul héritage à Gabriel; qu'il ne savait pas et n'avait jamais su comment aimer un enfant différent de lui, un enfant un peu plus chanceux. Et Gabriel n'avait d'autre désir, blessé comme il l'était, d'être trahi un peu plus, abandonné de nouveau; lui à qui il manquait une pièce du puzzle qui le rendait humain. Asong s'allongea dans l'herbe, respirant l'air lourd de la fin de l'automne et caressant du bout des doigts la pierre rongée par le temps. Il reposa sa tête contre le marbre froid et leva les yeux vers les branches du cerisier couleur d'incendie, couleur des yeux de Gabriel. Tout lui parut un peu moins coloré, un peu moins vivant, et sur les bords s'effilocha l'image parfaite de cette après-midi de fin d'automne. Il lui sembla aujourd'hui que ces longs mois à rêver d'un autre temps avaient perdu de leur attrait. Cette mémoire qu'il avait prise pour un jeu, cette souffrance qu'il avait moquée, comme il le regrettait maintenant. Il soupira et ferma les yeux, déchiré, grandi aussi. Somnolent, si innocent, il ne vit pas les os brisés qui reposaient dans les fleurs colorées. Sur la plus haute branche du cerisier un rossignol chantait.

Magnolias dans le jardin d'hiverWhere stories live. Discover now