7. Et Shahi de ses mains créait un jardin

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Le jardin avait été un champ de ronces et d'épines autrefois. Laissé à l'abandon dans la cour désertée par les serviteurs et les habitants du manoir, les années l'avait rendu sauvage et indomptable, et de nombreux jardiniers s'étaient blessés tentant de le rendre plus agréable à l'oeil. Mais c'était la seule cour sur laquelle donnait l'unique fenêtre de la chambre de Magnolia, et ainsi Shahi s'était décidé à le faire sien. C'était une idée qui lui était venue un soir tandis qu'il brossait les cheveux repoussant lentement de l'homme, lui racontant milles aventures qui lui étaient ou non arrivées, et, faisant une courte pause, l'observant tourner des yeux tristes vers la forêt visible de son fauteuil. Magnolia alors était déjà incapable de marcher, assis toute la journée dans sa chaise à bascule, et il passait plus de temps à observer la cour dehors qu'à écouter ce que Shahi lui racontait avec tant d'entrain, beau comme un coeur et l'air mélancolique. Jamais il ne se plaignait pourtant, et cela plus qu'autre chose avait brisé le coeur de Shahi, le poussant à se décider à agir.

Puisque Magnolia ne pouvait plus aller de lui-même dans la forêt, alors ce serait au garçon d'amener la forêt à lui.

Il avait demandé l'autorisation bien sûr à un homme surchargé de travail qui avait été plus qu'heureux qu'un simple "oui" suffise à le chasser si vite. Après tout, personne ne voulait de ce terrain, autant que l'enfant s'y amuse si cela lui plaisait. Et Shahi était parti, joyeux. Cela avait pris du temps car il fallait récolter toutes les fleurs qu'il voulait faire pousser pour Magnolia et nettoyer la cour et les buissons qui bordaient les murs de pierre, si tenaces. Shahi n'était pas comme les autres qui avaient essayé avant lui, cependant. Il était un bon garçon, poli, et il avait d'abord demandé à la terre verte et aux arbres du jardin s'il pouvait ici créer quelque chose de beau pour son ami qui ne pouvait quitter sa chambre. Et il était un peu comme Asong, Shahi, bien qu'à sa façon, alors la terre avait dit oui et rétracté ses bras épineux du sol, laissant de la place pour les fleurs et les plantes qu'il avait avec lui. Il voulait faire tant de choses ! Il remplissait des carnets entiers des idées qui se dessinaient dans son esprit, des choses qu'il voulait faire et de celles qu'il savait plairaient à Magnolia. Il avait dégoté des ancolies, achetées au marchand qui montait du village de la jetée, leurs racines encore en terre dans des pots, des clématites et des jonquilles sauvages, des bouquets entier de pervenches et de cyclamens dont la couleur le ravissait. Il montra ses dessins aux jardiniers, toujours si bons avec l'enfant que personne n'avait le droit de toucher, et ceux-ci lui donnèrent des conseils et des outils pour son labeur, amusés malgré eux par ce petit bout de gosse si déterminé.

Le travail avait été long, et durant ce temps Shahi avait demandé à Magnolia de ne pas s'approcher de la fenêtre, inventant une histoire de pollen fort qui avait soudainement envahi les sous-bois. Cela n'avait pas été plaisant de voir ses yeux pâles perdre un peu de leur éclat à cette dernière liberté qui lui avait aussi été enlevée, mais Shahi n'avait pas cédé. Il avait travaillé vite, acharné comme il l'était, passant des nuits entières à modeler le jardin à sa façon aidé par la terre qui se mouvait sous lui à sa volonté, sans jamais s'arrêter plus de quelques heures. Pris dans son travail, il avait perdu un peu de poids et des cernes s'étaient creusées sous ses yeux à cause du manque de sommeil. Magnolia s'en était inquiété, anxieux qu'on le faisait travailler trop dur derrière son dos, mais Shahi l'avait rassuré, assis sur ses genoux et plaçant des marguerites dans ses cheveux tressés. Il était fatigué et pourtant si heureux de pouvoir faire cela pour lui, pour l'homme qui l'avait élevé et n'était plus que l'ombre de lui-même, prisonnier de cette chambre qu'il ne pouvait quitter et cloué à ce fauteuil qu'il haïssait tant.

Oui, peu importait à Shahi qu'il en perdait la santé ou le sommeil, s'il pouvait seulement voir de nouveau sur le visage de Magnolia fleurir le sourire qu'il avait il y a si longtemps, dans ses souvenirs d'enfant. Il aurait tué pour cela, et plus encore. Il avait observé son travail à l'aube de la fin de son labeur, les fleurs qui avaient poussé de la terre et celles qu'il avait plantées par carrés de terre, leurs couleurs vivaces et somptueuses éclairées par les rayons fins du soleil levant, et enfin il s'était écroulé dans l'herbe, sa tâche achevée. Le matin pointait son nez à l'horizon et la rosée de la nuit s'était déposée sur les pétales colorées. L'enfant prit une grande inspiration et un rire s'échappa de lui sans qu'il ne puisse le contrôler. Ah, c'était un sentiment inspirant et puissant qui s'empara de lui, prit possession de tout son coeur et réveilla son âme exténuée. Le rossignol sur la plus haute branche du cerisier chantait et Asong devenait Shahi, un court instant, spectateur absorbé, confondant presque réalité et rêve éveillé.

Magnolias dans le jardin d'hiverWhere stories live. Discover now