4. Quand le temps était beau

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Le jardin en friches dans la cour avait un cerisier. C'était un vieil arbre qui avait poussé là des décennies plus tôt et y resterait pour quelques une encore. Son écorce noueuse était d'un rouge pâle et ses branches fleurissaient tous les ans. Chaque fin de printemps et pour une courte période de temps il donnait de grosses cerises noires qui étaient aussi délicieuses que nombreuses. Coutume était d'en faire de la confiture et ainsi de les préserver pour toute l'année. L'enfant aux yeux d'or avait passé de nombreuses nuits sous l'arbre quand le temps était assez clément pour le permettre. Il aimait la tranquillité de la cour encerclée par le pavillon et les bruits de la forêt juste au-dehors. Là il observait le ciel de longues heures et jouait avec les fleurs qui poussaient à l'été.

Il était jeune, encore un enfant, et puis son image se brouilla et à la place un adolescent se tint là, juste dans la fleur de l'âge et si beau, si fort.

Il leva les yeux sur un ciel sans nuages, caché par les pins immenses, et sa respiration petit à petit se calma. Dans ses mains abîmées par les années à se battre pour sa place ici, une fleur blanche se trouvait. Ce n'était pas une fleur de cerisier pourtant mais une marguerite, et il joua distraitement avec ses pétales, l'air calme. Il semblait presque humain, presque tendre comme ça, mis à nu. C'était après tout son endroit à lui, sous le cerisier. Il y passait des nuits entières, et les autres, grands comme lui maintenant, savaient mieux que de s'y aventurer et de risquer sa colère. C'était qu'il avait bien grandi, l'enfant qui pleurait et riait pour un rien, aux vêtements déchirés et aux genoux écorchés. Il était fort maintenant, capable de se défendre et de battre tous ceux qui auraient voulu lui imposer leur loi. Il savait se montrer vicieux aussi, sournois, car il restait l'élève de Magnolia après tout, et avait grandi nourri de son poison.

Le souvenir changea et une auberge se dessina. C'était la seule auberge de la jetée aux Ancolies, alors presque neuve et luisante d'un vernis propre. Au-dehors les cloches de la chapelle sonnaient de ce rythme distinct qui ne résonnait que dans de rares cas. Asong le reconnaissait, familier et inchangé. Un procès se dessinait à l'horizon, un procès pour une âme que l'enfant ne connaissait pas et ne connaîtrait jamais, insignifiante, et les nobles étudiants du manoir avaient quitté leur nid, descendant sur la vallée pour mieux l'instruire et la guider dans ses heures sombres. Magnolia était là, debout dans un coin et discutant avec le propriétaire, jeune et resplendissant dans ses robes blanches, ses longs cheveux une rivière d'encre noire. Ses élèves non loin échangeaient entre eux discrètement. Et dans l'ombre, l'adolescent. Il se tenait de côté, comme exclu et pourtant semblant désintéressé par le chahut de ses camarades. Son regard sombre était fixé sur la silhouette svelte de son professeur qu'il ne quittait pas des yeux. Celui-ci finit sa conversation et s'approcha, le visage figé et indifférent, le coin des lèvres tourné vers le bas en une grimace de dédain à peine perceptible.

"Ne traînez pas, enfants stupides, et rejoignez vos chambres. Demain vous aurez tous le temps de rire lorsque vous participerez au jugement." déclara-t-il, la voix impitoyable, si jeune et pourtant si froid.

Il leur fallait obéir alors, à ces enfants déjà si grands, sans un mot de plus. Ils se dirigèrent vers les escaliers et l'adolescent les suivit aussi, sans un regard pour Magnolia qui quand il passait ne faisait que froncer les sourcils, bien trop heureux de ne plus l'avoir sous ses yeux. Il grandissait trop vite, presque aussi grand que lui, et Magnolia ne pouvait supporter sa vue ces jours-ci, entraîné dans un tourbillon de souvenirs renfermés en lui trop longtemps. Il fuyait maintenant chaque fois qu'il le voyait, fuyait ou bien le punissait si fort que son sang imprégnait la terre jusqu'aux racines les plus profondes. Cette vue alors, cette vue était la seule chose qui calmait son coeur palpitant et le rappelait à la raison. Il s'en voulait ensuite, enfermé dans la plus grande chambre du manoir, seul. Il s'en voulait et se maudissait de cette faiblesse qu'il ne savait cacher et qu'il devait reporter sur un autre. Il était comme ça Magnolia, comme une soie si fragile qui ne savait résister au poison qui y avait été versé à petites gouttes, et qui maintenant ne pouvait plus que l'essorer sur tout ce qu'il touchait. Ce soir-là le garçon s'éloigna et il sembla à Magnolia qu'un court instant quelque chose lui avait échappé, un regard, un soupir, un non-dit lourd qui pesait entre eux.

Magnolias dans le jardin d'hiverWhere stories live. Discover now