Etat d'âme quand on est heureux

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J'aimerai pouvoir me lever paresseusement et faire ma toilette comme si rien ne pressait. J'aimerai mettre une feuille à la machine et taper les fragments de souvenirs de mon rêve d'hier. J'aimerai que la lumière baigne les touches noires et que la brise estivale me chuchote que le soleil va bien. J'aimerai pouvoir lire et parler et refaire le monde et débattre de ce qui est et de ce qui n'est pas.

Mais mon esprit est limité quand mon corps tend vers zéro à l'extrême droite. Il est au bord de la falaise mais ne tombe pas. Il respire juste ce qu'il faut pour exister un peu encore. Ces quelques mots que je vole au temps n'arrêtent pas l'horloge qui tourne, l'horloge qui tourne n'arrête pas le torrent de pensées qui traversent mon esprit à chaque instant mais je noircis des pages et c'est illisible. Et même si ça ne l'était pas ce serait incompréhensible. Ma tête tourne et j'aimerai être lucide mais je ne vois plus où je pose les pieds en écrivant ces mots ou plutôt je ne sais plus où je pose les doigts.

Ça commence à prendre le dessus et j'essaie de garder le contrôle car il faut que ça s'arrête ou sinon l'horloge tournera plus vite encore. Mon crayon crisse sur ce papier qui a eu le temps de vieillir et que j'ai ressorti car c'est le seul qui ne peut rester blanc. Il chante sous mes doigts et je vais éventuellement relire mes mots mais j'aurai aimé pouvoir relire ce qui se passe maintenant en moi. J'aimerai écrire mon bonheur mais c'est assez délicat, le bonheur ne peut être décrit. Car si on ne sait pas le lire; et on ne le sait pas, il a l'air bien triste; mais il ne l'est pas.

Est-ce important d'être compris ? Après tout on comprend quand je parle de souffrance mais pas quand c'est le bonheur. Est-ce important d'être compris ? Car ils restent perplexes devant ces quelques lignes de moi qui reflètent mon état d'esprit. C'est donc chose si complexe que d'être heureux car on écrit et non d'écrire car on est heureux ? Ils passent à côté mais osent quand même proclamer que ça ne me réussit pas. Ils disent que ce n'est pas grave, que je n'y peux rien puisque le génie se cache dans ma douleur. Alors je m'en vais et j'écris folle de rage et d'ennui une de ces choses qu'ils pensent comprendre mais qu'ils ne comprennent que très peu.

Et devant leurs visages ébahis je garde les yeux grand ouverts, pendant qu'ils se mettent à claquer des doigts et à taper dans leurs mains en me rassurant que ce que j'ai écrit leur parait correct. Alors je reprends mon manuscrit, ou plutôt le leur arrache des mains, triste d'avoir cru en eux. Ils essaient de feindre une connexion quelconque avec les lignes sous leurs yeux mais ils n'arrêtent pas de ciller et ils réfléchissent trop, Brel avait raison: "ils aimeraient bien avoir l'air, mais ils n'ont pas l'air du tout". Des ignares qui me renvoient meurtrie chez moi pour écrire un peu moins bien, un peu trop tard. Mais c'est juste pour dire que peu importent les sentiments si on ne sait pas les lire on ne peut les ressentir avec un cœur qui ment.

Mes doigts se sont réchauffés et mon âme s'apprête à confesser ce qu'elle avait à dire, mais j'ai monopolisé la parole. Maintenant je sens que j'ai commencé à fléchir sous son charme et son désir d'extérioriser ses peines et ses remords. Alors je m'arrête ici, à la frontière du bonheur. Car quand j'écris peu je continue d'être heureuse. Ce n'est qu'au bout de quelques pages que je commence à perdre conscience et c'est en relisant mon ouvrage que je me rends compte de ma tristesse. Finalement tout est triste quand on continue d'en parler. Il faudrait donc se taire et ne relire que la première page quand on a besoin de ses forces ; ou qu'on n'a pas le courage d'aller jusqu'au bout...

Après tout, nous somme des créatures intéressées et bien prévisibles. Je m'arrête là, après tout, c'est plus ou moins lisible.




29.05.2015- 00 :04 - Azznek.

Insomnies.Where stories live. Discover now