Chapitre 3

272 16 2
                                    

— Tu m'aiderais avec cette question, s'il te plaît ? 

Une jolie fille de ma promo s'approche de moi, échangeant de siège avec une de ses amies. En linguistique, mes compétences actuelles sont reconnues dans mon groupe. Je suis plutôt fier de moi, présageant au début de l'année que je ne m'y retrouverais pas dans cette matière. J'accepte volontiers et corrige ses premières réponses en lui donnant des pistes de réflexion et en l'aiguillant pour la suite de l'exercice. 

— Et moi ! couine Ben, de l'autre côté de mon bras. Ne me laisse pas me débrouiller, par pitié. C'est quelle langue ? De l'anglais ou de l'extra-terrestre ? 

— Pas de panique, pouffé-je. À ton avis, dans cette phrase, en te basant sur tous les éléments à ta disposition, ce that est-il un déterminant, un pro-forme ou un adverbe ?

 Il me scrute par-dessous ses cils et souffle d'un coup, ce qui soulève sa frange dorée.

— Quels éléments à ma disposition, exactement ?

— Cotexte et contexte.

— La différence entre les deux ?

Le professeur l'a expliqué tellement de fois, mais je persiste à sourire à son air abattu qui réussit toujours à m'attendrir.

— Le contexte, c'est du français. Ne cherche pas une autre définition que celle que tu connais déjà. Cotexte, tu cherches dans le texte, à droite ou à gauche de that

— D'accord, et un pro-forme ?

Là, je pousse un soupir théâtral qui amuse ma nouvelle voisine de droite. Elle se penche vers nous, signe qu'elle n'a pas la réponse non plus.

— Oubliez pro-forme pour l'instant. Dites-vous que pro-forme est égal à pronom. Par conséquent, pronom, déterminant ou adverse ?

Malgré toutes ces informations, Benjamin n'a pas retenu les différents questionnements et tests à faire pour établir la nature du mot. Je ne les interroge même pas sur sa fonction grammaticale et m'attelle à leur tendre des perches à saisir pour qu'ils trouvent le bon cheminement seuls. Le travail n'est pas de tout repos, mais ils y parviennent avant que le professeur n'annonce sa correction. Ils jubilent en voyant qu'ils ont raison.

— Tu es un ange, Lou ! me chuchote Carène. 

Ben pousse une exclamation exagérée et s'accroche à mon coude en déclarant, tout content de lui :

— Lou est à moi. Personne ne me le pique ! Je ne survivrais pas longtemps sans lui. Surtout en linguistique !

Ça amuse toute notre rangée, et même le professeur à priori, puisque ce dernier interrompt sa correction et raille :

— Allez dans une chambre tous les deux !

Les rires redoublent et s'étendent à toute la classe, les nôtres s'éteignent complètement. Benjamin s'apprête à rétorquer avec virulence, je le vois dans le tressautement de sa mâchoire, mais je l'en empêche de justesse d'une œillade grave. Pour ne pas attirer davantage l'attention, je fais mine de pouffer avec eux et force mon sourire tout le restant du cours. Autant dire que mon meilleur ami sera ingérable à la pause.

Et comme je le présumais, il l'est. À peine sommes-nous sortis de son cours qu'il fulmine et se rue dans les toilettes à proximité de notre classe. Je lui emboîte machinalement le pas sans un mot. Il ouvre à fond le robinet, s'asperge d'eau et le referme sèchement, puis se tourne vers moi, appuyé sur le lavabo. Je sais que ce regard noir ne m'est pas destiné, pas vraiment. 

— C'est quoi ce genre de réflexions, sérieux ? Quel con, celui-là !

— Ben, il s'agit de notre professeur qui n'apprécierait pas de passer devant les toilettes et de t'entendre.

Sunshine ProtectorWhere stories live. Discover now