S'en suivit un silence solennel. Gromallo balayait l'ensemble du public avec un regard hautain.

– Citoyens de la Grande Nation !, fit-il presque agressivement. J'ai un grand malheur à vous annoncer... Le Proconsul Felix Anthony a été retrouvé mort ce matin même, à son domicile.

Une rumeur parcourut la foule.

– Tout indique qu'il s'est suicidé, dit Gromallo.

La rumeur grossit un peu. Les gens se retournaient les uns vers les autres avec de gros yeux.

– Je ne vois pas en quoi c'est une mauvaise nouvelle, fit Lizig.

– Un homme est mort !, dit Elgud. Ce n'est jamais une bonne nouvelle. Même quand il s'agit du Proconsul.

– C'est Soverinn...

Joakim était subitement glacial. Les autres se retournèrent vers lui.

– Soverinn est mort, dit Patsy. Tu l'as vu toi-même emporté par la mer dans le monde de l'Inneal. Personne n'aurait pu survivre à ça.

– Le Proconsul ne s'est pas suicidé, répondit Joakim d'un ton catégorique. Ça n'a pas de sens. Ça fait tout juste deux mois qu'il a prétendu avoir découvert le butin de Bilz. Il venait de prendre sa retraite. C'est Soverinn, c'est certain ! Il l'a puni pour nous avoir laissé passer.

– Et même si c'était vrai, fit Patsy. L'Inneal est neutralisé...

– C'est justement ça que je voulais vous dire !, dit Elgud.

Il les regarda d'un air sérieux qui ne lui ressemblait pas. Et puis il sortit son bloc-notes comme s'il venait de repenser à quelque chose, il se mit à écrire dedans.

– Qu'est-ce que tu allais dire ?!, fit Joakim en s'agaçant.

Gromallo continuait d'appeler au retour du silence.

– Taisez-vous maintenant. Taisez-vous. Je sais que ce n'est pas marrant, mais c'est comme ça... Et puis, il faut voir le bon côté des choses... C'est moi qui vais devenir votre nouveau Proconsul !

Cette fois-ci, la place resta dans le silence. Gromallo claqua bien des mains deux ou trois fois pour encourager le public à l'applaudir, mais rien n'y fit.

– Ça va être lui le nouveau Proconsul ?!, dit Lizig sans chercher à garder la voix basse.

– Il va nous mener la vie dure ! Surtout à toi, Joakim.

Joakim se sentait pâlir. Il se retourna vers Elgud.

– L'Inneal ? Qu'est-ce que tu allais dire ?

– Oui oui. L'Inneal. Ina vient de m'apprendre que... Ina vient de m'apprendre qu'il y en a un autre.

– Qu'est-ce que tu dis ?...

– D'après elle, celui-là n'était qu'une version au rabais ! L'autre, le vrai comme elle dit, n'est pas seulement capable de changer le monde : il peut changer l'univers en entier ! Il peut même modifier les lois de la physique, il permet carrément de créer la vie ! Il est par contre beaucoup plus difficile d'accès, et il est très bien gardé. C'est pour ça que Soverinn a d'abord dû viser le premier. Mais maintenant...

Ils échangèrent un regard froid tous les quatre. Puis Elgud, Patsy et Lizig se retournèrent vers Joakim.

– Alors on a fait tout ça pour rien, dit Patsy dans un souffle.

Gromallo finissait de claquer des mains, puisque la foule ne réagissait toujours pas il s'éclaircit la voix et reprit :

– Merci, merci. On va maintenant entonner l'hymne national de la Grande Nation. Les Agents Proconsulaires vont passer parmi vous pour vérifier que vous connaissez bien les paroles.

Joakim porta la main à son torse, où pendait son Granit.

– Ça n'a pas d'importance.

Les badauds se redressaient, les hommes retiraient leurs bérets, les femmes retiraient leurs coiffes. Ils firent tous silence en se préparant à chanter.

Lizig hocha la tête. Elle tendit un sac à son frère, il en sortit un carton et une bombe de peinture « Noir de charbon pris dans la cheminée ».

Il s'accroupit, les autres se resserrèrent autour de lui. Il posa le carton contre le sol. Ce n'était plus la silhouette d'un seul joueur de cornemuse qui y était découpée, c'était celle de tout un défilé.

Il appliqua la peinture sur le trou, elle y tomba comme de la cendre. Il retira le carton. Aussitôt les personnages du dessin se retournèrent vers lui.

– Tout le monde est prêt ?, demandait Gromallo au-dessus de la foule.

Joakim prit une grande inspiration.

Les musiciens du pochoir mettaient déjà leurs instruments en place. Leurs gestes étaient sûrs et francs. Ils se tenaient droits, la tête haute. Ils étaient décidés. Ils ne se laisseraient plus faire.

Des lignes craquelaient autour d'eux le long des pavés de la rue.

Joakim esquissa un sourire.

Le son des cornemuses éclata au moment où la foule se mettait à chanter.

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